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Vendredi 24 octobre 2025, à la CCI de Seine-Saint-Denis, plusieurs anciens athlètes ont souhaité évoquer un sujet souvent passé sous silence : la reconversion professionnelle après la carrière sportive. Un thème encore sensible dans le monde du sport, où nombreux sont ceux qui, une fois les projecteurs éteints, peinent à trouver une nouvelle voie.

« À la fin de ma carrière, j’ai traversé une période très compliquée. » Championne du monde d’escrime à Paris en 2010, double médaillée de bronze aux Jeux olympiques d’Athènes en 2004 et championne d’Europe en 2002 à Moscou, Maureen Nisima a longtemps brillé sur les pistes avant de déposer définitivement son épée. Après plus de trente-cinq ans de carrière, l’ancienne escrimeuse a retrouvé un quotidien plus apaisé, loin des projecteurs, en tant que retraitée sportive à seulement 44 ans.
Vendredi 24 octobre 2025, à la CCI de Seine-Saint-Denis, elle a participé à une conférence organisée par le Club des Entreprises d’Est Ensemble (Clubee). Aux côtés de Marc Davidovici, président délégué de l’association bénévole Club INSEP Alumni (Institut national du sport, de l’expertise et de la performance), et ancien sprinteur international dans les années 70 (100 m, 200 m et 4×100 m), ils ont abordé un sujet souvent méconnu du grand public mais essentiel pour les athlètes : la reconversion professionnelle des sportifs de haut niveau.
La retraite sportive, un sujet à anticiper ? Pour Marc Davidovici, ancien sprinteur international et chirurgien-dentiste à la retraite, la réponse ne fait aucun doute : « Après le sport, il y a une autre vie, et cela se prépare. » Une évidence qui, pourtant, semble échapper encore à nombre d’athlètes. Les carrières de haut niveau sont souvent éphémères : un footballeur ou un tennisman raccroche en moyenne vers 35 ans, parfois bien plus tôt. Les exceptions, comme Gianluigi Buffon, légendaire gardien de but italien parti à 45 ans, sont rarissimes. « Ceux que je croise et qui sont encore en activité me disent qu’ils ont le temps parce qu’ils ont 18 ou 20 ans. C’est une erreur… » a regretté l’ancien sprinteur, non sans ironie, avant d’ajouter : « À l’inverse, ceux qui approchent la fin de leur carrière disent qu’ils n’ont pas eu le temps, pris dans l’engrenage des stages, des soins, des compétitions. »
Lui, au contraire, a anticipé sa reconversion très tôt. Marc Davidovici raconte avoir mené de front études et sport de haut niveau au prix de nombreux sacrifices. « À mon époque, ce n’était déjà pas simple. Quand j’ai demandé un aménagement d’horaires pour m’entraîner, on m’a répondu qu’il fallait choisir : dentiste ou sportif. » Ce dernier s’est souvenu avoir redoublé une année de faculté pour tenter de décrocher sa qualification aux Jeux olympiques de Munich. « Malheureusement, je n’y suis pas allé, même si j’avais fait les minima. J’étais cinquième, mais c’est le sixième qui a été sélectionné. Encore aujourd’hui, je ne comprends pas. Ça fait toujours mal. »
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Aujourd’hui, les mentalités évoluent, a-t-il constaté, citant l’exemple de la judokate Blandine Pont, vice-championne d’Europe 2024 et étudiante en sixième année de chirurgie dentaire. « Elle a pu terminer son cursus en six ans au lieu de neuf, pour concilier études et sport. Heureusement, ce type de dispositif existe désormais. » Ces parcours, a-t-il souligné, rappellent les sacrifices consentis par les athlètes : « Il faut comprendre qu’un tel engagement implique des renoncements qui ne sont pas toujours récompensés. C’est pourquoi il est essentiel de penser à l’après. »
Des sacrifices, Maureen Nisima en connaît également la portée. L’ancienne escrimeuse, championne du monde en 2010, est revenue sur les difficultés rencontrées malgré son palmarès. « J’ai très vite été confrontée à la pression médiatique : une une dans L’Équipe, une invitation sur le plateau d’On n’est pas couché face à Zemmour et Naulleau… j’en tremblais. Et on m’a demandé pendant l’émission si je cherchais un emploi », s’est-elle rappelée, son contrat précédent ayant pris fin quelques mois plus tôt. Une situation paradoxale, mais révélatrice de la précarité du sport de haut niveau. « Honnêtement, j’étais prête à prendre n’importe quel job alimentaire à cette époque-là, parce que je devais payer mon équipe : un médecin, un préparateur mental, un préparateur physique et un kiné. C’est le quotidien de beaucoup de sportifs », a-t-elle révélé.
Contrairement à une idée reçue, la grande majorité des athlètes ne vivent pas dans le confort financier d’un Cristiano Ronaldo, d’un LeBron James ou d’un Tyson Fury. En France, dans des disciplines comme l’athlétisme, la natation ou le judo, même les meilleurs athlètes ont des difficultés à trouver des contrats stables. Leurs revenus dépendent le plus souvent de primes ponctuelles, des résultats en compétitions – une médaille d’or remportée par un Français en 2024 était récompensée d’une dotation de 80 000 € – ou de rares partenariats, les plaçant dans une grande précarité.
« Heureusement, après l’émission, j’ai reçu un appel de L’Oréal qui m’a proposé de m’accompagner dans ma reconversion avec un CDI. C’était cohérent avec mon parcours, car j’avais suivi une école de coiffure avant de l’interrompre : physiquement, c’était trop dur d’enchaîner une journée de travail et les entraînements, j’ai dû me faire opérer à cause de ça », a-t-elle raconté. « Grâce à ce contrat, j’étais soulagée. Une fois ma carrière terminée, ou en cas de blessure, je savais ce que j’allais faire le lendemain. Parce qu’on ne vous dit pas ce qui se passe quand tout s’arrête : personne ne vous y prépare mentalement, pas même vos proches, alors qu’on vous prépare pour les grandes compétitions. »
Avec la fin de sa carrière est venue une autre interrogation : celle de la légitimité. « Pendant près de trente ans, je n’ai fait que de l’escrime. Et ce dont je ne me rendais pas compte, c’est que j’avais développé des compétences que j’utilisais au quotidien sans le savoir. Si je l’avais compris plus tôt, je n’aurais pas eu ce sentiment de ne pas être à ma place », a-t-elle confié. Résilience, mental, travail en équipe, adaptabilité, ambition… autant de qualités professionnelles que, selon elle, le sport forge, mais dont personne ne parle.
Chez L’Oréal, son nouveau quotidien a d’ailleurs prêté à sourire. « Mes collègues ne comprenaient pas toujours mon emploi du temps ou mes absences. Ils ne voyaient pas ce que je faisais quand je partais en déplacement », a-t-elle plaisanté. « Si j’avais un conseil à donner aux jeunes sportifs, ce serait d’ouvrir les portes de leur vie. J’aurais dû emmener mes collègues, ne serait-ce qu’une journée, pour leur montrer la réalité : une heure dans les bouchons, une demi-heure pour poser les straps, plusieurs heures d’entraînement, les soins, le repas à préparer, et au lit tôt pour recommencer le lendemain. »
Et de conclure avec une anecdote : « Je ne savais même pas comment poser des congés après ma retraite sportive ! Je voyais mes collègues le faire naturellement, alors que pour moi, les “congés”, c’était simplement les pauses entre deux compétitions. » Aujourd’hui, le sport continue pourtant d’occuper une place centrale dans sa vie. « Depuis 2016, je suis sélectionneuse de l’équipe de France féminine. Je pose donc régulièrement des congés pour suivre mon équipe en compétition », a-t-elle précisé. En parallèle, depuis 2020, Maureen Nisima est consultante pour Eurosport, notamment lors des Jeux olympiques de Paris, tout en jonglant avec son rôle de maman.
Côté accompagnement, Marc Davidovici s’emploie, à travers son association Club INSEP Alumni, à soutenir les sportifs dans cette étape souvent délicate qu’est la reconversion. L’organisation, en partenariat avec le groupe Aéroports de Paris, attribue, tous les ans, une bourse de 4000 euros sur deux ans, soit 2000 euros par an, à trois jeunes espoirs du haut niveau, dont un en situation de handicap. Une aide destinée à financer une formation qualifiante hors du cadre sportif. « Pour en bénéficier, il faut être inscrit dans un double projet – sport et études – ou déjà engagé dans une carrière professionnelle », a-t-il expliqué, avant de glisser avec humour : « Bien sûr, on ne s’occupe pas de Teddy Riner, ça va pour lui. »
L’objectif de ces dispositifs est clair : créer des passerelles entre le monde du sport et celui de l’entreprise. Grâce à des partenariats, notamment avec le Crédit Mutuel, les athlètes peuvent bénéficier d’un premier contact avec le milieu professionnel, voire décrocher un emploi ou une formation à l’issue de leur carrière.
« Nous avons des jeunes sportifs qui ont été mentorés par des chefs d’entreprise avec lesquels ils ont tissé de vrais liens », a-t-il raconté. « Ce fut le cas de Kylian Portal, nageur handisport médaillé de bronze sur 400 mètres nage libre aux Jeux paralympiques de Paris 2024. Ou encore d’un kayakiste, accompagné par un entrepreneur qui l’a épaulé sur les aspects juridiques pour créer sa propre société. »
Mais malgré ces succès, Marc Davidovici garde un regard lucide sur les limites du dispositif. Impliquer des figures emblématiques du sport pour sensibiliser plus largement les jeunes générations reste un défi. « Nous avons tenté d’associer d’anciens champions, mais sans grand succès », regrette celui qui a déclaré « vouloir rendre au sport ce qu’il lui a offert ». Et de conclure, un brin amer : « Peut-être qu’aujourd’hui, le sport souffre d’un peu plus d’individualisme et d’égocentrisme. »
Également présent lors de la conférence, Michel-Ange Marie-Calixte, ancien membre de l’équipe de France de bobsleigh, génération 1998, a mis en lumière un autre frein à la reconversion des athlètes : la relation parfois conflictuelle entre le sportif et sa fédération. Dans son cas, cette tension a lourdement pesé sur sa carrière. Selon ses dires, il aurait pu devenir champion du monde et décrocher une médaille de bronze aux Jeux olympiques de Nagano, mais en aurait été privé par les sélectionneurs de la Fédération française des sports de glace (FFSG).
Un article du Parisien, paru au début des années 2000, rappelait que la FFSG avait refusé de commenter les raisons de cette mise à l’écart. Michel-Ange Marie-Calixte, lui, a indiqué n’avoir jamais « caché son franc-parler ». Ce dernier avait saisi la commission de conciliation du Comité national olympique et sportif français (CNOSF), qui avait reconnu que la fédération avait commis une faute ayant eu des conséquences directes sur sa carrière.
« La réalité, ce n’est pas ce qu’on voit à la télévision avec des sportifs dépeints comme des héros, si une fédération est en froid avec vous, cela peut avoir un coût sur votre carrière, mais aussi sur l’après », a-t-il relaté. « Ils ne vous proposeront pas de rester. On est tributaire du système. Je pense qu’il faudrait créer une cellule indépendante, dédiée à la reconversion de tous les sportifs, hors du contrôle des fédérations. »
Tous trois, Maureen Nisima, Marc Davidovici et Michel-Ange Marie-Calixte, s’accordent ainsi sur les progrès réalisés depuis les Jeux de Paris 2024, notamment avec les listes ministérielles ouvrant droit à des aides spécifiques. Le statut de sportif de haut niveau (SHN), délivré par le ministère des Sports sur proposition des fédérations, concerne aujourd’hui 16 268 athlètes, selon un article du Monde publié le 13 août 2023. Ce statut, principalement destiné aux amateurs, ouvre droit à un accompagnement spécifique : aménagements scolaires, suivi médical et socioprofessionnel, couverture santé et droits à la retraite.
Le même article indiquait qu’environ un tiers d’entre eux, soit 5 439 sportifs, bénéficieraient d’un soutien financier de l’Agence nationale du sport (ANS), pour un montant global de 7,8 millions d’euros par an, soit en moyenne une centaine d’euros par mois. Des chiffres qui contrastent toutefois avec le bilan officiel de l’ANS pour l’année 2023, qui fait état de 2 132 bénéficiaires d’aides personnalisées pour un montant total de 7,67 millions d’euros, soit environ 3 600 euros par an par sportif. Aucune donnée publique plus récente n’a, à ce jour, été communiquée par l’agence pour 2024.
Mais ces dispositifs restent insuffisants. « Certains ne sont même pas inscrits… », a regretté Maureen Nisima, plaidant pour la mise en place de bilans de compétences à différents moments de la carrière sportive. D’autant que le contexte budgétaire n’incite guère à l’optimisme : le projet de loi de finances 2026 présenté par le gouvernement Lecornu II prévoit une contraction des crédits alloués aux sports. Résultat ? -15 % au total, atténués à 6,5 % pour l’enveloppe principale, qui passe de 593 à 554 millions d’euros pour le programme 219. En y ajoutant les 240 millions de taxes affectées à l’Agence nationale du Sport et les 54,8 millions de crédits destinés à l’organisation des Jeux olympiques et paralympiques d’hiver dans les Alpes françaises en 2030, le budget global des Sports s’élève à 849 millions d’euros, contre 881 millions l’an dernier.
Michel-Ange Marie-Calixte conclut, se disant inquiet pour l’avenir des sportifs français : « J’ai rencontré des entreprises partenaires en 2024 qui m’ont clairement dit : »après Paris, c’est terminé ». Cash. »
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