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Recours « massif » à l’isolement, déscolarisation, atteinte à la liberté d’aller et de venir… Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté alerte sur de graves atteintes infligées aux droits des enfants en pédopsychiatrie. Dans un avis rendu public ce 4 décembre, il invite notamment « à prendre toute mesure utile afin que soit respectée l’interdiction de recourir à l’isolement et à la contention d’un mineur en dehors du cadre défini par le législateur ».

« Méconnaissance des normes applicables », « nombreuses atteintes aux droits fondamentaux des enfants », recours « massif » et « illégal » à des mesures d’isolement dangereuses pour « l’intégrité physique et psychique » des jeunes patients… L’avis publié par le Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) ce 4 décembre jette une lumière crue sur la prise en charge des mineurs hospitalisés en psychiatrie.
Adressé aux ministres de la Santé et de la Justice en octobre dernier, ce document met en lumière « le décalage entre les obligations de l’Etat en matière de protection des droits des enfants et l’insuffisante protection des droits du mineur en établissement de santé mentale », décrit par le Contrôleur comme « un impensé du droit positif français ».
En 2017 déjà, l’autorité administrative recommandait que soit renforcée la protection des mineurs hospitalisés en psychiatrie. 8 ans après, les droits de ces derniers ne sont toujours pas respectés, « malgré un arsenal juridique protecteur ».
Une part significative des atteintes aux droits des patients hospitalisés en psychiatrie résulte directement « des conséquences de la grave crise que traverse cette discipline », explique l’institution publique. Pénurie de spécialistes, offre de soins quasi-inexistantes sur certains territoires… ce marasme conduit à ce que des mineurs soient « mal orientés et mal pris en charge » et « se voient imposer nombre de restrictions à leurs droits qui ne sont nullement justifiées par leur état clinique », détaille le CGLPL.
Des restrictions faites, en particulier, à leur liberté d’aller et venir, qui peuvent aller jusqu’à la privation même de liberté, note l’autorité : « Lorsqu’ils sont admis dans des unités pour adultes, faute de place dans les unités pour mineurs ou de l’existence même d’une telle unité, ils sont généralement affectés dans des services fermés, que ce soit pour prévenir les intrusions, éviter les fugues (…). »
Dans ce cadre, « il n’est pas rare que les enfants soient enfermés dans leur chambre pour de longues durées », dénonce le CGPLP. Les possibilités d’échanges par téléphone ou de visites sont par ailleurs « très strictement limités » : « une ou deux fois par semaine » pour les visites autorisées, par exemple.
L’autorité relève aussi que les enfants, même quand ils sont en soins libres, « ne sont pas consultés sur le principe de leur hospitalisation, pas plus que sur les règles de vie qui leur sont imposées » et qu’« il arrive que le titulaire de l’autorité parentale ne le soit pas plus que le jeune patient ». Le recueil du consentement au traitement, lui, « n’est que rarement formalisé », détaille l’avis.
À ce titre, le contrôleur alerte : « L’encadrement rigoureux des relations personnelles et des contacts avec les parents, la méconnaissance de l’opinion de l’enfant sur les questions l’intéressant, l’absence de protection contre toute forme de violence physique ou mentale qui peut résulter d’une hospitalisation avec des adultes sont des atteintes graves aux droits des jeunes patients. »
Les visites du CGLPL montrent par ailleurs que l’hospitalisation conduit souvent à un quasi-abandon de la scolarité, ce que déplore la plupart des enfants rencontrés par le contrôleur au cours de ses visites.
L’autorité administrative dirigée par Dominique Simonnot établit aussi un recours « massif » et particulièrement alarmant à l’isolement des mineurs hospitalisés en psychiatrie. « Il échappe généralement à tout contrôle, alors que les enfants qui peuvent légalement y être soumis sont très minoritaires », peut-on lire dans l’avis.
D’après les textes, seuls les enfants hospitalisés sur décision du représentant de l’Etat (SDRE), dans un cadre dit « de soins sans consentement », peuvent être soumis à un tel régime.
Pourtant, le CGLPL constate fréquemment des privations de liberté « illégales » : des mineurs « en hospitalisation libre » qui font l’objet d’isolement et de contention, « particulièrement lorsqu’ils sont pris en charge dans des services pour adultes, où ils sont parfois hébergés à temps complet en chambre d’isolement ».
« Cet enfermement arbitraire expose les mineurs à des risques d’atteinte à leur intégrité physique et psychique, particulièrement quand il est mis en œuvre dans des chambres d’isolement dépourvues de bouton d’appel », alerte l’institution.
Derrière ces pratiques, il y a le désemparement des personnels et le manque criant de moyens, reconnaît le contrôleur. Mais aussi une méconnaissance des normes et de leur champ d’application. Ainsi, certains médecins et soignants « parlent de « vide juridique » ou mettent en place des protocoles censés encadrer le recours à l’isolement et à la contention des mineurs, d’autres encore se réfugient derrière la nécessité de protéger les enfants ou, pire, derrière le caractère thérapeutique supposé des mesures d’isolement et de contention alors qu’aucune donnée probante ne justifie une telle vertu ».
Parmi les dérives les plus graves observées, l’autorité souligne le recours « à des artifices de langage qui permettent aux professionnels de se voiler la face et trompent les patients en faisant passer la contrainte pour un soin ».
La rareté de ces mesures est par ailleurs toujours invoquée par les établissements concernés, mais si les chiffres varient sensiblement de l’un à l’autre, « ils démontrent souvent le contraire » : dans un établissement visité, l’isolement concerne environ 15 % des mineurs accueillis, dans un autre 30 %, ailleurs 40 %.
Face à ces dérives, le CGLPL tient à rappeler la particulière gravité des atteintes infligées aux droits des enfants concernés par ces mesures, « même lorsqu’elles sont qualifiées de rares ou d’exceptionnelles ». L’autorité a visité « au moins un établissement où un enfant de moins de douze ans avait été isolé pendant une journée entière, un autre où la plupart des enfants isolés avaient moins de quinze ans, d’autres ou des enfants subissent des contentions pouvant durer plus d’une journée ».
Dans son avis, le CGPLP rappelle donc le cadre d’application strict de loi et invite le ministre chargé de la Santé « à prendre toute mesure utile afin que soit respectée l’interdiction de recourir à l’isolement et à la contention en dehors du cadre défini par le législateur ». Quelques paragraphes plus loin, il souhaite « l’interdiction expresse » de ces mesures.
Plus encore, l’institution plaide pour la création par le législateur d’un statut unique du mineur hospitalisé en psychiatrie. Car la distinction entre patients admis en soins libres et patients admis en soins sans consentement « est inadaptée à la situation des mineurs, dont le respect des droits n’est en pratique jamais garanti », justifie le rapport.
Ce statut doit permettre de remédier « à des dysfonctionnements qui placent la France en situation de constante violation de ses engagements internationaux en matière de protection des droits de enfants », conclut le Contrôleur général.
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