Les dispositifs de participation citoyenne à la loupe : les limites d’un idéal démocratique

Que donnent les « campagnes de participation citoyenne », telles que celle mise en place par la Cour des comptes cet automne ? Comme l’initiative de la juridiction financière, les dispositifs de démocratie participative se sont multipliés depuis la crise des gilets jaunes, en 2018. S’ils améliorent l’accessibilité des institutions et permettent à ces dernières de se rapprocher des préoccupations des citoyens et de les associer à leurs travaux, ces mécanismes présentent encore certaines limites.


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Marion Durandvendredi 17 octobre6 min
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Ouverte un mois plus tôt, la campagne de participation citoyenne de la Cour des comptes s’est terminée le 30 septembre dernier. L’institution tire un bilan « très positif » de cette 4ème édition, avec 1006 contributions recensées. Lancée en 2022, la plateforme en ligne permet aux citoyens de soumettre des thèmes qui pourraient faire l’objet de contrôles par la Cour ou par les chambres régionales et territoriales. Depuis, 22 rapports issus de cette campagne ont été publiés, parmi lesquels figurent des travaux sur les soutiens publics à la corrida en Occitanie, sur le recours par l’Etat à des cabinets de conseil privé, ou encore sur les soutiens publics accordés aux fédérations de chasseurs.

Une fois la campagne clôturée, les propositions des citoyens sont transmises aux présidents de chambres qui examinent la nouveauté du thème, la faisabilité du contrôle au regard des méthodes de la Cour ainsi que la « pertinence ou valeur ajoutée » des propositions« par rapport aux préoccupations publiques ». La même opération est effectuée en parallèle par le Comité du rapport public et des programmes, « chargé d’assurer la cohérence et la pertinence de la programmation et des publications ».

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Une fois retenues, les propositions font l’objet d’enquêtes approfondies, conduites selon les procédures habituelles, puis publiées comme les autres travaux des juridictions financières. Les rapports issus de la campagne de 2025 devraient être publiés à partir de 2026. Conçu dans le cadre du plan stratégique de transformation des juridictions financières lancé en 2021, l’outil s’inscrit plus largement dans un contexte de développement des initiatives de démocratie participative, amorcée dans le sillage du mouvement des gilets jaunes, né en 2018.

Dès 2008, une participation citoyenne facilitée

Les dispositifs de « démocratie participative » par lesquels les institutions cherchent à se rapprocher des citoyens et de leurs préoccupations émergent en France dans les années 1980 et 1990. En 1995, la démocratie participative encadre par exemple les débats relatifs aux grands projets d’aménagement présentant un impact significatif sur l’environnement. En 2002, naissent les conseils de quartier, qui visent à associer les habitants à la gestion municipale.

La révision constitutionnelle de 2008 marque quelques avancées en ce sens : elle permet aux citoyens, via leurs recours devant les tribunaux, de soulever une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), ou de saisir le Conseil économique social et environnemental par voie de pétition – sous réserve de réunir au moins un demi-million de signatures.« Dès les mandatures Sarkozy-Hollande, on voit apparaître des usages de la participation au niveau de l’État », explique Guillaume Gourgues, maître de conférences en science politique à l’Université Lyon 2.

Sous la présidence de François Hollande, les choses s’accélèrent avec la mise en place des premières conventions citoyennes… même si elles n’en portent pas encore le nom. Puis, avec l’arrivée au pouvoir d’Emmanuel Macron, « l’appareil d’Etat s’est mis à produire des dispositifs participatifs de plus en plus nombreux et de plus en plus cadrés, même s’il n’avait pas fait de la démocratie participative quelque chose d’extrêmement présent dans sa rhétorique électorale, en réaction aux gilets jaunes », poursuit le chercheur, par ailleurs spécialiste de l’évolution des formes de démocratie et de participation dans l’action publique. Mais cette effervescence participative ne rime pas toujours avec efficacité ou confiance retrouvée.

« Quand on demande aux gens de s’exprimer, ils le font »

 « Je trouve que c’est déjà super qu’une institution comme la Cour des comptes s’ouvre sur ces questions-là », souligne Sylvie Barnezet, déléguée générale de l’Institut de la concertation et de la participation citoyenne. Pour elle, ce genre de mécanisme démontre deux choses : « Déjà, cela montre que quand on demande aux gens de prendre la parole ou de s’exprimer, ils le font. La deuxième chose, c’est que comme tout ce que fait l’État en matière de participation citoyenne, il y a peu de transparence sur la façon dont la parole citoyenne intègre la structure et sur ce qu’on en fait après, avec une traçabilité qui n’est pas toujours très précise », explique Sylvie Barnezet, en proposant que la Cour explore des pistes comme l’audition de citoyens et l’intégration de leur participation à son travail, afin de dépasser un système où « les sachants, les experts seuls ont un pouvoir et une capacité ».

Dans un contexte de défiance des citoyens vis-à-vis des institutions, ces initiatives permettent de travailler sur la confiance. Pour Sylvie Barnezet, la plateforme participative en ligne de la Cour des comptes est « somme toute classique »:« C’est l’outil le plus simple, le moins contraignant, et c’est un outil numérique, ce qui fait qu’on est à distance des citoyens ».

Il serait, selon la déléguée, possible et souhaitable d’aller plus loin, même si parfois la désillusion est trop forte. La Convention citoyenne pour le climat en est un exemple parlant : « L’objet lui-même est très intéressant, le tirage au sort, l’engagement dans la durée de citoyens, la capacité délibérative et d’intelligence collective dans un processus, est une des façons les plus abouties de délibération citoyenne. Mais derrière, pour ce qui est du lien à la décision et à la transformation de l’action publique ou de la politique publique, il y a un nœud absolument énorme ».

« L’institution fixe son propre agenda, ce qui est un peu le lot commun de toutes ces offres de participation »

Pour Guillaume Gourgues, les outils de démocratie participative comme celui de la Cour des comptes ont le mérite d’exister : « ça n’est pas égal à zéro »Mais le chercheur déplore que ces dispositifs censés donner plus de pouvoir aux citoyens restent très encadrés et limités. « C’est vraiment un archétype de participation citoyenne extrêmement encadrée dans lequel l’institution fixe son propre agenda, ce qui est un peu le lot commun de toutes ces offres de participation », souligne Guillaume Gourgues. Selon lui, ces mécanismes reposent souvent sur une« écoute sélective » : les institutions écoutent ce que les citoyens ont à proposer, mais elles ne retiennent que ce qui correspond à leurs préférences, ce qui est peu engageant pour elles et souvent déjà prévu ou envisagé. Pour la première fois cette année, la Cour a mené une enquête préalable afin d’identifier les thèmes jugés prioritaires par les citoyens : la gestion des finances de l’État ainsi que la santé et la protection sociale sont arrivés en tête, suivis par le thème « environnement et transition écologique ».

Dans ses recherches, souvent menées en collaboration avec Alice Mazeaud, maître de conférences en science politique à l’Université de La Rochelle, Guillaume Gourgues met en évidence un usage « managérial » des citoyens, mobilisés comme une ressource pour gouverner des problèmes propres à l’Etat. « On oriente la participation là où ça intéresse les institutions et au moment où ça ne les intéresse plus, on arrête. C’est ce manque d’indépendance et cette versatilité du participatif qui me pose problème. » Selon le chercheur, des dispositifs de démocratie participative plus ambitieux et véritablement démocratiques pourraient, par exemple, permettre aux citoyens d’évaluer les travaux des institutions ou de participer aux débats sur les orientations budgétaires et la dette.

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