Article précédent

En mai 2025, les équipes du Contrôleur général des lieux de privation de liberté se sont rendues pour la première fois au service départemental de la police aux frontières de Montgenèvre. Ces locaux situés à la frontière franco-italienne font l’objet de recommandations en urgence et d’une alerte sur des privations de liberté qui ont lieu « hors de tout cadre légal » et dans des locaux « dans un état de saleté extrême ».

Mesures privatives de liberté « hors de tout cadre légal », absence de médecin, excès des délais légaux de rétention, vidéosurveillance illégale, taches de sang sur les taies d’oreiller et femmes qui dorment dans le hall d’entrée… Une première visite au sein du service départemental de la police aux frontières (SIPAF) de Montgenèvre (Hautes-Alpes) aura suffi au contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) pour alerter sur les conditions de prise en charge des personnes qui y sont retenues.
Après un contrôle inopiné effectué du 12 au 16 mai dernier par cinq agents, le CGLPL publie ce 6 novembre des recommandations en urgence, après avoir constaté de « nombreux dysfonctionnements entraînant des atteintes graves aux droits des personnes qui y sont privées de liberté ». En 2024, 4 572 personnes ont été interpellées par le SIPAF de Montgenèvre, chargé de lutter contre l’immigration irrégulière à la frontière franco-italienne.
Le document du contrôleur des prisons fait état d’un non-respect du cadre légal dans lequel les personnes sont interpellées et de locaux inadaptés « dans un état de saleté extrême » et a l’hygiène « gravement défaillante ». Le rapport dépeint ainsiune prise en charge portant atteinte à la dignité des personnes. Dans ces recommandations, adressées au ministère de l’intérieur le 31 juillet dernier, le CGLPL a appelé à la « nécessité de remédier sans délai aux dysfonctionnements affectant la prise en charge des personnes interpellées par le SIPAF de Montgenèvre ». Le ministère de l’Intérieur n’a pas encore formulé d’observations en réponse aux recommandations.
Une grande majorité des personnes retenues au SIPAF de Montgenèvre le sont « hors de tout cadre légal ». 92 % des personnes qui ont été retenues dans ces locaux entre le 1er janvier et le 30 avril 2025 l’ont été au titre de la vérification d’identité. Problème : la mauvaise procédure leur est appliquée par les agents de la PAF. En vertu du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), confirmé par une décision du Conseil d’Etat du 2 février 2024, la procédure applicable à un étranger retenu aux fins de vérification de son identité qui n’est pas en mesure de justifier de son droit de circuler ou de séjourner en France, est celle du CESEDA relative à l’exécution des mesures d’éloignement incluant le placement en rétention et non celle de la procédure de retenue pour vérification d’identité régie par le code de procédure pénale. Pourtant, ce sont bien les règles du Code pénal qui sont appliquées, privant ainsi les personnes interpellées d’un certain nombre de garanties.
« L’illégalité des procédures qui résulte de cette erreur de droit emporte des conséquences très concrètes pour les personnes concernées », souligne le CGLPL dans ses recommandations. Les dispositions du Code pénal qui leur sont appliquées à tort ne prévoient par exemple pas le droit d’être examiné par un médecin, consultation qui relève donc « de la seule appréciation des policiers », note le contrôleur. Le risque pour la santé des personnes interpellées est d’autant plus accru que « certaines des personnes (…) le sont aux termes de marches périlleuses sur un terrain de haute-montagne et se trouvent dans un état de grande vulnérabilité physique et psychique » à leur arrivée au SIPAF.
En dehors des urgences, gérées par les pompiers de Briançon – bien qu’ils ne soient pas systématiquement appelés « même lorsque l’état d’une personne interpellée semble nécessiter une consultation médicale d’urgence » -, le rapport du CGLPL note que le médecin ne se déplace pas au service de la police aux frontières de Montgenèvre.
Ainsi, un jeune Erythréen revendiquant sa minorité, « d’apparence juvénile et d’une maigreur inquiétante », a été interpellé le 13 mai 2025, en présence des équipes du CGLPL. Celui-ci s’est plaint de douleurs et « présentait un état de faiblesse physique et d’épuisement manifeste, confirmé par ses compagnons de voyage qui ont précisé qu’ils marchaient ensemble depuis plusieurs jours sans se nourrir ou boire correctement ». L’appel à un médecin n’a pour autant pas été jugé nécessaire par les policiers et il a fallu que les contrôleurs alertent le commandant du SIPAF pour qu’un repas lui soit servi et que les pompiers viennent le chercher. Il a marché avec difficulté jusqu’à leur camion et était encore hospitalisé le lendemain. Par ailleurs, aucun protocole relatif à la prise en charge des risques liés aux hypothermies et aux gelures n’a pu être présenté aux contrôleurs lors de leur venue.
En plus d’être interpellées et privées de liberté sous le mauvais régime, les personnes retenues le sont pour des durées excessives. « 73 % des personnes retenues à ce titre sont privées de liberté pendant une durée excédant quatre heures, et 32 % pour une durée supérieure à huit heures », souligne le CGLPL. En France métropolitaine, le Code de procédure pénale fixe pourtant cette durée de rétention à quatre heures maximum.
Le CGLPL demande « le strict respect des dispositions législatives applicables », la fin des enfermements « au-delà des délais légaux », évoquant des atteintes aux droits de la défense et au droit à la sûreté.Lorsque des familles avec enfants mineurs sont interpellées, celles-ci sont parfois retenues plusieurs heures alors même que les locaux ne sont pas adaptés à l’accueil d’enfants. Le CGLPL rappelle ainsi l’interdiction de l’enfermement des enfants, « même pour une courte durée ».
Le CGLPL a également alerté sur les conditions indignes dans lesquelles les personnes interpellées sont hébergées. « L’hygiène et le nettoyage des locaux sont une urgence sanitaire absolue » a relevé le contrôleur, soulignant que les mesures de privation de liberté doivent se dérouler dans des conditions matérielles garantissant le respect de la dignité et de la sécurité des personnes enfermées. Les préfabriqués accueillant une partie des personnes interpellées sont « dans un état de saleté extrême », et le ménage n’y est effectué que de façon exceptionnelle lorsque ces locaux sont inutilisés.
À lire aussi : La contrôleuse des prisons demande la fermeture « au moins partielle » de l’établissement pénitentiaire pour mineurs de Marseille
Dans les locaux dans lesquels sont accueillis les adultes, les poubelles ne sont pas vidées, les couvertures sont roulées en boule, les taies d’oreiller maculées de saleté et de sang. Les matelas sont tachés et « jamais nettoyés », mais désinfectés à l’aide d’un produit vaporisé directement dessus. Les couvertures des geôles, censées être à usage unique, sont « réutilisées et lavées à l’occasion ». Certaines toilettes sont dépourvues de papier toilette, et la vidange des WC a souvent lieu tardivement. De leur côté, les mineurs n’ont pas d’endroit pour se laver les mains. « Ces conditions d’hygiène sont d’autant plus alarmantes que des cas de tuberculose, de gale et, au cours du premier trimestre 2025, d’infection à Mpox ont été suspectés parmi des personnes interpellées », alerte le CGLPL, qui y voit un risque sanitaire pour les personnes enfermées ainsi que pour les fonctionnaires de police.
Les préfabriqués ou « structures modulaires » seraient par ailleurs, selon le CGLPL, « peu adaptés à l’accueil prolongé de personnes, en raison notamment de la rudesse des hivers alpins, à 1 800 mètres d’altitude » – malgré la présence de radiateurs. Les recommandations du contrôleur font également état de l’absence de salle d’attente et de la petitesse des préfabriqués, « d’une surface de 20m2 » chacun, « manifestement sous dimensionnés » au regard du nombre de personnes qui y passent chaque jour et de l’absence de jauge. Il arrive « que les femmes majeures passent la nuit dans le hall d’entrée du SIPAF, sur les bancs face au poste ou dans les geôles laissées ouvertes », note encore le CGLPL.

Certaines geôles ne permettent pas d’accueillir les matelas, sont « mal ventilées, dépourvues de sanitaire, de point d’eau et de bouton d’appel, et la zone de sûreté ne comporte pas de douche accessible aux personnes privées de liberté ». Le CGLPL rappelle la nécessite que les locaux soient adaptés aux conditions climatiques et que leur surface doit être « justement calibrée » en fonction du nombre de personnes qui pourraient y être retenues de façon simultanée. Le CGLPL rappelle également pour respecter la dignité des personnes retenues, celles-ci doivent pouvoir avoir des couchages et assises « propres et en nombre suffisant ». Le contrôleur note en outre que les kits d’hygiène qui figurent dans le stock ne sont pas distribués, que les personnes enfermées doivent faire appel aux policiers pour accéder aux WC et que la distribution de repas (qui ne fait l’objet d’aucune consigne particulière) dépend de l’agent qui est en service.
Les mineurs garçons et filles sont parfois mélangés dans les locaux et leur prise en charge n’est pas adaptée à leur minorité. Dans le modulaire qui leur est dédié, il n’y pas de lits, uniquement des matelas au sol et les prises électriques ne fonctionnent pas. Pendant la visite du CGLPL, les toilettes des mineurs ont été déplacées, privant ces derniers d’y accéder. « Toute personne se déclarant mineure doit être immédiatement prise en charge par les services du conseil départemental, bénéficier d’un accueil d’urgence et être accompagnée vers son lieu de mise à l’abri », rappelle le contrôleur dans ses recommandations.

L’équipe du CGLPL a relevé que la palpation d’un père de famille avait eu lieu dans « des conditions attentatoires à sa dignité » car elle s’était déroulée dans un couloir et devant ses enfants en bas âge. Ont également été établies des palpations systématiques, parfois répétées, malgré une surveillance policière continue. Le contrôle a également permis d’établir la présence de caméras de surveillance activées alors que la personne retenue ne relevait pas d’un cadre légal autorisant la vidéosurveillance. Les personnes retenues au SIPAF ne reçoivent par ailleurs « aucune information sur leurs droits » ni sur la raison ou la durée pour laquelle elles sont privées de liberté.
Idem sur les informations relatives à la possibilité de formuler une demande d’asile. À deux reprises, les équipes du CGLPL ont relevé des incohérences entre les procès-verbaux, indiquant que la personne interpellée avait formulé une demande d’asile, et les dossiers de réadmission vers l’Italie mentionnaient le contraire. Après avoir réaffirmé que chaque personne devait être informée de ses droits, le CGLPL a également indiqué qu’« une information concernant le droit de demander l’asile et les modalités d’exercice de ce droit doit lui être systématiquement délivrée, sans attendre qu’elle en fasse la demande ».
THÉMATIQUES ASSOCIÉES
Infos locales, analyses et enquêtes : restez informé(e) sans limite.
Recevez gratuitement un concentré d’actualité chaque semaine.
0 Commentaire
Laisser un commentaire
Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *