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Le sujet de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) fait partie du quotidien de la Chambre criminelle de la Cour de cassation. Son président, Nicolas Bonnal a abordé cette activité particulière devant le cercle de constitutionnalistes le 2 octobre dernier.
La QPC a intégré depuis 2010 le métier des praticiens qui officient à la Cour de cassation, soit 15 ans, mais elle conserve dans l’esprit de beaucoup d’entre eux son parfum novateur.
Le volume des QPC est important. Bon an mal an, la Chambre criminelle de la Cour de cassation fournit 30 % des décisions du Conseil constitutionnel en matière de questions prioritaires de constitutionnalité. C’est un chiffre significatif.
« Ça pourrait constituer un champ, celui de la conventionnalité. La Cour de cassation l’a inauguré dans les années 1970. Donc c’est quelque chose de défriché, quelque chose que nous présentons quotidiennement, sur la base de mémoires au Conseil d’État et à la Cour de cassation », précise le président de la Chambre criminelle.
« Le juge judiciaire s’était toujours interdit le moindre contrôle de constitutionnalité. Cette procédure, que je persiste à qualifier de nouvelle, a été pour nous une révolution. » Effectivement, elle permet à la Cour de cassation de mieux participer au contrôle des droits fondamentaux que le législateur demande à la Justice d’exercer, un sujet d’actualité récurrent.
Le débat sur le pouvoir des juges qui s’éloigneraient de leurs fonctions est à la mode. Or justement, la QPC, voulue et mise en place par le législateur constitutionnel, y répond. Pour Nicolas Bonnal, « La façon dont elle fonctionne montre bien que, a priori, les juges n’outrepassent pas plus leur mission en saisissant le Conseil constitutionnel et celui-ci en tirant les conséquences de leurs saisines qu’ils ne l’outrepassent lorsque, pour respecter le principe constitutionnel de la supériorité des engagements internationaux de la France sur la loi interne, ils pratiquent un contrôle de dimensionnalité ou au regard du droit de l’Union. C’est un des mécanismes voulus par le législateur et nous essayons de le faire vivre. »
Les débats générés par les QPC conduisent à défricher des champs relativement inédits pour la Chambre criminelle depuis 15 ans. Ce travail réclame une approche particulière. « Nous avons tous du mal quelquefois à nous souvenir que nous devons absolument nous dégager des chefs d’espèces et ensuite n’examiner que le texte. » explique le président. « L’approche du texte, totalement désincarnée, est passionnante. » La chambre criminelle de la Cour de cassation traite une, deux, trois QPC par semaine, qui amènent 120 à 150 décisions par an. Cette activité demeure assez stable.
Nicolas Bonnal note une évolution sensible. Les juges du fond ont mis du temps à s’emparer de la QPC. L’acculturation a été lente dans les juridictions. Cependant, elle monte en puissance. « Hier nous avons reçu notre 25ᵉ saisine de l’année. Alors que l’an dernier, nous en avons eu péniblement 18 sur toute l’année. Les juges du fond ont compris que la loi leur impartissait un critère d’examen. »
Autour de la QPC, beaucoup de questions procédurales sont posées. Bien sûr, il s’agit parfois de pur droit. Par exemple, tel texte est contraire en lui-même à la Convention européenne des droits de l’homme. Mais dans 90 % des cas, il est discuté que l’application de tel texte au cas présent était contraire à telle ou telle garantie résultant de la Convention européenne des droits de l’homme. Donc le plus souvent, le contrôle s’ancre sur les faits constatés par les juges du fond.
Il faut se focaliser sur le juste choix du texte applicable. C’est le type de problème qui se pose lorsqu’est soumis un cas d’incompétence négative, lorsqu’il est reproché au législateur de n’avoir pas prévu quelque chose qu’il aurait dû prévoir. « Alors là, la réflexion mène à savoir si la question loge le vide au bon endroit. »
Dominique Chagnollaud, président du cercle des constitutionnalistes, éloigne la discussion de la QPC et profite de la rencontre pour sonder Nicolas Bonnal sur le dernier ouvrage collectif du cercle qui vient de paraitre.
Le principe de la sécurité juridique, c’est son titre, s’articule en trois parties. La première définit la notion de sécurité juridique, la seconde met en avant les garanties de la sécurité juridique apportées par le droit, et la troisième décrit l’usage fait par les acteurs du droit du principe de sécurité juridique.
Préfacé par Christophe Soulard, premier président de la Cour de cassation, et Didier-Roland Tabuteau, vice-président du Conseil d’État, le livre réunit les réflexions d’une dizaine d’auteurs. La société est plus pragmatique que joueuse, l’investisseur préfère la certitude au risque. En quelque sorte, le justiciable veut savoir à l’avance à quelle sauce il va être mangé. La stabilité du système, sa constance le rassurent. Elles le mettent en confiance. La quête de pérennité compte notamment sur un ordre établi par un droit aux évolutions lentes et admissibles.
En réponse, Nicolas Bonnal indique que la sécurité juridique est une préoccupation permanente du Conseil constitutionnel, aux dépens d’ailleurs de l’effet utile de la QPC, notamment pour celui qui la pose.
Le président de Chambre revient sur un raisonnement récent qui a attiré son attention. Ce dernier avance qu’un texte est conforme à la Constitution, sous une réserve : le réécrire de fond en comble.
Le texte en question est certes conforme à la Constitution. Il s’agit des pouvoirs du procureur européen en matière de contrôle judiciaire, avec un recours très rapide en matière de placement sous contrôle judiciaire devant le juge des libertés et de la détention, mais aucun recours de ce type en matière de modification de réponse à une demande de mainlevée du contrôle judiciaire. Le texte a été soumis au Conseil constitutionnel qui l’a trouvé conforme à la Constitution, sous réserve que ce recours soit possible. Le recours quasiment immédiat au juge des libertés et de la détention existe aussi pour les demandes de modification ou de mainlevée du contrôle judiciaire. Nicolas Bonnal conclut : « Et alors là, c’est une réserve d’interprétation, applicable immédiatement. L’affaire revient dans la Chambre criminelle après la décision du Conseil constitutionnel. Il faudra en tirer les conséquences, puisque le texte nouveau, si l’on peut dire, sera réputé avoir toujours existé ! »
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