À la rentrée du barreau de Paris, Gérald Darmanin assure vouloir protéger le secret professionnel des avocats

Le garde des Sceaux est également revenu sur un autre sujet sensible : la réforme de la procédure d’appel en matière civile. Il a affirmé qu’il ne signerait pas le décret RIVAGE limitant les appels tant qu’aucun accord n’aurait été trouvé entre le gouvernement et les instances du barreau.


mercredi 3 décembre6 min
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Gérald Darmanin à la rentrée du barreau de Paris a annoncé être favorable à la proposition de loi socialiste visant à étendre l’aide juridictionnelle aux violences faites aux enfants. @JSS

« Nous ne deviendrons jamais les informateurs généraux de Tracfin ! Nous protégerons notre secret coûte que coûte, dans l’intérêt de nos clients. » Pour sa dernière audience solennelle de rentrée du barreau de Paris, Pierre Hoffman n’a pas mâché ses mots. Vendredi 28 novembre 2025, au théâtre du Châtelet, où affluaient des avocats en robe noire et des juristes venus du monde entier, le bâtonnier sortant a affiché une fermeté assumée face à Tracfin.

Le service de renseignement financier de l’Etat souhaite en effet renforcer l’obligation faite aux avocats de signaler toute suspicion d’infraction pénale commise par un client, dans le cadre de la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Mais cette volonté se heurte frontalement à la fronde d’une large partie de la profession : pour les avocats, cette obligation ne peut, en aucun cas, être généralisée. Elle doit rester strictement encadrée, limitée aux situations où existe un soupçon réel et caractérisé de blanchiment ou de financement du terrorisme, et seulement lorsqu’il est directement lié à l’opération pour laquelle l’avocat est sollicité.

Car derrière ce désaccord technique, c’est une inquiétude plus large qui s’exprime : les avocats redoutent qu’à terme, une extension trop large de cette obligation ne les contraigne à déclarer toute infraction grave portée à leur connaissance lors d’une consultation. Une dérive qui, selon eux, viderait de sa substance le secret professionnel et porterait atteinte au cœur même de leur mission.

« Garantir le respect du secret professionnel auquel je suis très attaché »

Invité pour l’évènement, le ministre de la Justice a tenté de répondre à la grogne des avocats. Répondant au vice-président de droit du CNB sur Tracfin, il a tenu à défendre l’action des services de l’État : « Tracfin nous aide beaucoup à répondre aux problèmes de corruption », glissant au passage au bâtonnier : « Je peux comprendre que, pour les besoins de la démonstration, vous vous soyez un peu emporté. »

Mais il a aussi cherché à rassurer : « Nous pourrions demander que les professionnels du droit et du chiffre fassent des signalements. J’ai confiance dans votre discipline, dans votre ordre et votre déontologie, vous avez raison de croire que votre déontologie est votre meilleure arme. C’est à la profession et pas à Tracfin d’intervenir si un avocat traite de l’argent sale, et nous comptons sur vous pour le faire. » Un positionnement qui lui a valu des applaudissements nourris.

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Le ministre s’est par ailleurs dit prêt, dans le cadre de la loi SURE – son projet de réforme judiciaire visant à assurer une sanction plus efficace – ou d’un autre texte, à une modification de la loi dès le début de l’année prochaine pour « garantir le respect du secret professionnel » auquel il s’est dit « très attaché ». En contrepartie, les avocats devront « avancer sur la question du narcotrafic ».

« Nous devrons avoir une discussion », a insisté Gérald Darmanin, qualifiant ce phénomène de « drame » constituant une menace équivalente à celle du terrorisme. Et de rappeler la responsabilité du barreau envers ses propres membres : certains avocats, a-t-il averti, « trahissent leur serment et compromettent leur sécurité et celle de leurs cabinets », en détournant « la déontologie et le secret ». Dans les cas les plus extrêmes, « il y a des avocats qui connaissent des menaces et violences physiques inacceptables et nous aurons, comme aux Pays-Bas, des avocats assassinés dans les rues d’Amsterdam parce qu’ils n’auront pas su être protégés d’eux-mêmes ».

Trouver un accord sur le décret RIVAGE

Autre sujet sensible sur lequel Gérald Darmanin a tenu à s’exprimer : le décret « RIVAGE ». Ce texte entend relever de 5 000 à 10 000 euros le « taux de ressort » des cours d’appel, c’est-à-dire le seuil en dessous duquel un appel ne serait plus possible en matière civile. Il prévoit également un filtrage des recours « manifestement irrecevables » par une ordonnance du président de chambre, rendue sans débat contradictoire. L’objectif affiché du ministère est clair : désengorger les cours d’appel en évacuant environ 13 000 dossiers par an et en libérant plusieurs dizaines d’équivalents temps plein de magistrats.

Une perspective à laquelle les avocats s’opposent vivement. Dans un communiqué, le Conseil national des barreaux (CNB) dénonçait le 20 novembre une « restriction majeure du droit d’appel, privant de nombreux justiciables d’un recours effectif, notamment pour les litiges du quotidien – consommation, logement, travail, pensions alimentaires, etc. ». L’institution alertait également sur le fait que ces mesures toucheraient « particulièrement les justiciables les plus modestes », pour lesquels des montants d’apparence modeste représentent des enjeux déterminants.

Les inquiétudes portent aussi sur le fonctionnement même des tribunaux. Selon le CNB, une telle réforme risque d’engorger les juridictions de première instance : les parties pourraient être tentées d’augmenter artificiellement leurs demandes pour atteindre le seuil d’appel. À cela s’ajouterait une multiplication attendue des pourvois en cassation pour des « petits litiges » et, plus largement, l’apparition de nouveaux contentieux.

Vendredi 28 novembre 2025, au théâtre du Châtelet, dernière audience solennelle de Pierre Hoffman
Pour sa dernière audience solennelle en tant que bâtonnier de Paris, Pierre Hoffman a insisté sur l’importance de préserver le secret professionnel des avocats @ JSS

Face à ces critiques, le garde des Sceaux a choisi l’apaisement. « Est-ce que le décret Rivage vaut que nous nous fâchions et vaut que nous puissions mettre en difficulté la relation très essentielle entre les avocats, la magistrature et le pouvoir politique ? La réponse est non. »

L’ancien maire de Tourcoing a ensuite nuancé davantage les choses : « Lorsque vous m’avez interpellé sur ce décret, Monsieur le Bâtonnier, je vous ai dit que je comprenais vos arguments, même si certains n’étaient, à mon avis, pas tous fondés, mais certains l’étaient. » Début novembre, face au scepticisme des avocats et magistrats, la Chancellerie avait d’ailleurs annoncé le lancement d’une concertation. « Nous aurons des modifications de notre procédure civile que si nous parvenons à un accord. Je réitère donc ma main tendue. Je ne signerai pas ces décrets tant que nous ne serons pas d’accord », a-t-il promis, tout en appelant les avocats à « faire un pas » pour y parvenir.

Un budget en hausse, mais moindre par rapport à d’autres pays

Le ministre a également tenu à rappeler les efforts budgétaires consentis pour la justice en 2026. Tout en reconnaissant « la honte qui peut nous toucher quand on voit les moyens petits, pour ne pas dire ridicules, de la justice, comparé aux autres grands pays », et en soulignant que la France compte quatre à cinq fois moins de magistrats que l’Allemagne, il a insisté sur un point : avec les Armées, la justice est le seul ministère à n’avoir subi aucune coupe budgétaire.

Ce dernier a rappelé qu’en 2025, pour la première fois depuis trente ans, aucun crédit n’avait été annulé, et que le budget pour 2026 permettra la création de 1 600 postes, principalement dans l’administration pénitentiaire et à la Protection judiciaire de la jeunesse – soit les deux tiers des créations de postes de tout le gouvernement. Une hausse de 2 %, saluée par le bâtonnier et par la vice-bâtonnière, Vanessa Bousardo, qui a reconnu un effort réel, bien qu’encore insuffisant pour répondre à l’ensemble des urgences du secteur.

Sur l’aide juridictionnelle, dont l’enveloppe a quasiment doublé depuis 2017 en passant de 370 millions à 660 millions d’euros annuels, Gérald Darmanin a précisé que de nouvelles augmentations interviendraient encore l’an prochain. Celui qui était aussi ministre de l’Intérieur a néanmoins appelé à « réfléchir » au modèle économique de certains avocats qui « tout en se réclamant d’une profession libérale, ne vivent que de l’AJ ». Enfin, il a annoncé soutenir la proposition de loi socialiste visant à étendre l’aide juridictionnelle aux violences faites aux enfants.

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