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CHRONIQUE. La 6e chambre correctionnelle s’est penchée récemment sur une agression sexuelle commise dans une salle de… la cour d’appel de Versailles.

Janvier 2025. Coline J. est en service civique à la cour d’appel, où Noël S. est agent de sécurité. Elle sympathise « particulièrement » avec le trentenaire, et ils échangent leurs numéros. Un dimanche soir, elle lui envoie une série de textos : elle lui raconte qu’elle est « perdue en amour », lui demande s’il a « trouvé une petite copine » et lui propose de discuter de tout cela le lendemain. C’est ainsi que que le lundi après-midi, à 15 heures 20, tous deux se retrouvent dans le huis-clos d’une salle du palais. Elle en ressort une poignée de minutes plus tard, « tremblante » et « les larmes aux yeux », d’après deux témoins. À 15 heures 46, Noël S. lui envoie : « Je suis vraiment désolé ».
Dans les jours suivants, elle le voit « discuter avec d’autres filles », et se décide à faire remonter l’incident à sa hiérarchie, puis à pousser la porte d’un commissariat. Aux enquêteurs, elle raconte : « Je parlais de ma vie, et de mon petit copain. Au moment où je suis partie, il m’a tenu le bras. Il m’a serrée dans ses bras, il a essayé de m’embrasser ». Elle explique avoir protesté, d’un « Non, pas du tout », auquel il aurait répondu d’un glaçant « Si si ». Avant d’entreprendre de lui toucher la poitrine et les fesses. Elle refuse cependant de déposer plainte, et ce, à au moins deux reprises.
Noël S. avance à la barre et donne sa version : « On a discuté. Elle m’a fait savoir qu’elle était dans une relation un peu… enfin, elle discutait avec une personne qui ne lui répondait pas souvent, et elle se sentait un peu perdue. […] À ce moment-là, j’ai cru que j’avais une chance d’être avec elle. J’ai cru qu’il y avait quelque-chose entre elle et moi. […] J’ai tenu sa main, je l’ai fait tourner sur elle-même. J’ai voulu l’embrasser, elle m’a dit non. […] Je l’ai laissée partir ». La présidente objecte qu’au moment de la confrontation, la jeune fille était en larmes : « Alors ce n’est même plus une menteuse, là. C’est une actrice. Elle arrive à pleurer sur commande ? ».
« Je constate qu’encore en 2025, et c’est un peu désolant, s’assurer du consentement de quelqu’un n’est pas encore acquis », entame la procureure : « Alors, je veux bien que dans la confusion des sentiments, quand on est un peu timide, on puisse mal lire les intentions de la personne en face. Mais il y a un cosmos entre ça et embrasser quelqu’un qui dit non, qui essaie de repousser, et toucher la poitrine et les fesses de cette personne. On est quand même sur autre chose ». Pour elle, « on pourrait être tenté de dire que c’est la parole de l’un contre la parole de l’autre, mais il y a quand même un faisceau d’indices qui est conséquent ». Elle ajoute que « l’état de sidération, on le sait, ça existe », et qu’accessoirement, « le lieu de travail n’est peut-être pas adapté à ce genre de faits ».
Elle réclame 10 mois de sursis probatoire – pendant deux ans – avec obligation de soins, interdictions de contact et de paraître. Sentant poindre la demande de dispense de « B2 » (NDLR : une personne peut demander l’effacement d’une mention figurant sur le bulletin n°2 de son casier judiciaire), elle ajoute que « quand on a un casier, c’est compliqué de travailler dans le milieu de la sécurité. Pour autant, si le casier existe, c’est [pour] réserver des emplois à ceux qui présentent certaines conditions d’honorabilité. […] Moi, je ne serais pas forcément très très à l’aise de savoir que monsieur pourrait de nouveau se sentir [pousser] des ailes, et tenter d’avoir des relations “saines et sincères”, comme il le dit, avec des jeunes filles qui ne le veulent pas ». Pour enfoncer le clou, elle requiert une peine complémentaire d’interdiction d’exercer dans la sécurité.
L’avocate de Noël S. insiste sur le fait que « le dossier débute de manière peu orthodoxe, puisque nous avons un soit-transmis au tribunal judiciaire de Versailles, avec très peu d’éléments, [mais] une demande d’ouverture d’une enquête préliminaire. […] La procédure se poursuit […] mais elle décide […] de ne pas déposer plainte ». Sur les récits des témoins, elle précise : « On a deux personnes qui sont entendues, mais seulement par procès-verbal d’attache téléphonique, ce qui donne assez peu de renseignements sur la manière dont [elles] ont évoqué la situation, et les mots [qu’elles] ont utilisés. On n’est pas sur ce qu’on pourrait qualifier de témoignage recueilli dans les formes du code de procédure pénale ».
« Peut-être [que Coline J.] ne dit pas exactement la vérité, en tout cas, c’est une hypothèse qu’on ne peut pas complètement exclure », estime l’avocate : « Et si elle ment, elle a intérêt à ne pas déposer plainte, pour ne pas s’exposer à des poursuites pour dénonciation calomnieuse. […] Sa seule parole, dans ce contexte, est manifestement insuffisante à rapporter la preuve de la matérialité des faits ». Elle conclut : « On va sacrifier monsieur sur l’autel de la parole des femmes, [et du raisonnement selon lequel] on ne peut plus, en 2025, accepter de considérer qu’une femme puisse ne pas exactement dire la vérité ».
À la reprise, le tribunal prononce six mois de sursis : « C’est un avertissement, mais c’est un avertissement sérieux. Quand une femme dit non, c’est non. Et quand il y a un doute, c’est non. Il faut que vous le compreniez, sinon, vous risquez de vous mettre dans des situations compliquées ».
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