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Lors de son audience d’installation, le 15 octobre 2025, Anne Auclair-Rabinovitch, qui succède à Peimane Ghaleh-Marzban – désormais à la tête du TJ de Paris -, a affirmé vouloir placer l’accès au droit pour tous les justiciables au cœur de son mandat.

« En me choisissant, le Conseil supérieur de la magistrature m’a investie d’une grande responsabilité. J’en suis honorée. » Après plus de deux mois d’intérim consécutifs au départ de Peimane Ghaleh-Marzban vers la présidence du tribunal judiciaire de Paris, le tribunal judiciaire de Bobigny tient désormais sa nouvelle présidente : Anne Auclair-Rabinovitch. Nommée le 12 août, elle a officiellement pris ses fonctions lors de son audience d’installation, mercredi 15 octobre 2025. Celle qui succède à un président resté cinq années à la tête de la juridiction a salué son prédécesseur, dont elle a dit avoir « mesuré, à l’occasion de multiples échanges, l’attachement profond à cette juridiction ».
Le procureur de la République, Éric Mathais, lui a également rendu hommage, décrivant Peimane Ghaleh-Marzban comme un magistrat animé d’« une très haute idée de la Justice » et reconnu pour être « un travailleur acharné ». Puis, s’adressant à la nouvelle présidente, il a salué leurs « premiers échanges très transparents et efficaces sur le fonctionnement de la juridiction », estimant que son « regard à la fois neuf et plein d’acuité » permettra « de nous poser à nouveau beaucoup de questions sur nos pratiques et nos organisations » afin de « nous adapter et progresser ».
Des propos auxquels Anne Auclair-Rabinovitch a répondu avec reconnaissance, soulignant combien l’expérience du procureur « des enjeux de ce département » lui est précieuse : « Votre souhait de les partager avec moi depuis les premières heures de ma prise de fonction l’est tout autant. Je vous en remercie très sincèrement. Elles présagent d’un pilotage conjoint harmonieux de cette juridiction. »
S’adressant enfin aux magistrats et personnels du tribunal, elle a tenu à affirmer sa conception du rôle qui l’attend : « Il m’appartient, soyez-en sûrs, de vous accompagner dans l’accomplissement de vos missions, dans le respect de votre indépendance juridictionnelle ». Elle s’est engagée, malgré un contexte « mouvant et parfois imprévisible », à « préserver le sens de notre action et à faire respecter le cadre de nos places respectives au cœur de la cité ».
Parmi les priorités fixées par Anne Auclair-Rabinovitch figure en premier lieu la défense de l’indépendance de l’autorité judiciaire, qu’elle considère comme « une priorité permanente et absolue ». Et d’ajouter : « On ne saurait transiger d’une quelconque manière avec les fondements de notre démocratie. Que mes collègues soient certains de mon engagement à leurs côtés dans leur défense. »
Interpellant ensuite Julien Charles, préfet de la Seine-Saint-Denis, la nouvelle présidente a rappelé les contrastes du territoire, « département porteur d’espoirs, recensant le plus grand nombre de jeunes de métropole, celui où chaque année près de 20 000 entreprises sont créées, mais également le plus pauvre, où la question de l’égalité des chances importe ». Dans ce contexte, elle a souhaité que les actions conjointes entre les institutions visent à promouvoir une « Justice réhaussée », fondée sur « un programme immobilier ambitieux et une politique d’accès au droit dynamique, tournée aussi vers les plus démunis ».
Pointant l’importance du réseau partenarial, Anne Auclair-Rabinovitch a également réaffirmé son intention de faire du CDAD « un outil de référence pour le déploiement des grandes politiques publiques du ministère de la Justice, au plus près de chacun ». Évoquant « les conclusions du comité des usagers, le retour d’expérience des avocats » et un taux de « plus de 40 % de non-recours aux droits », elle a annoncé sa volonté de renforcer l’offre d’accès au droit « au plus près de ceux qui sont dans le besoin ». Cela passera notamment par des permanences « dans les lieux d’hébergement d’urgence, au moment de la distribution des repas des plus démunis, auprès d’associations accueillant des victimes », mais aussi pour promouvoir « la politique de l’amiable du ministère de la Justice » et mieux orienter « les personnes vivant dans des logements insalubres ».
Un accompagnement qui inclut aussi, a-t-elle rappelé, l’aide aux justiciables dans leurs démarches pour obtenir l’aide juridictionnelle. À ce jour, la Seine-Saint-Denis compte « 36 points justice, dont six maisons de justice et du droit ».
Autre dossier majeur mentionné par Anne Auclair-Rabinovitch : l’extension du tribunal judiciaire de Bobigny. Un chantier qu’elle juge essentiel, car il s’inscrit pleinement dans cette volonté forte de renforcer « l’accès au droit ». Avec le soutien du procureur de la République, Éric Mathais, elle a assuré vouloir « mener à son terme, dans un calendrier qui s’accélère, le chantier de l’extension de ce palais de justice », rappelant que « les locaux actuels sont devenus exigus, frappés de vétusté et inadaptés aux besoins actuels ». Elle en a donné plusieurs exemples concrets, citant notamment « le service d’accueil unique du justiciable, bien trop à l’étroit et inconfortable tant pour les justiciables que pour nos personnels », ou encore « le service du juge des libertés et de la détention, inexistant lors de l’inauguration du palais, et qui regroupe aujourd’hui 12 greffiers, un adjoint administratif et sept magistrats, ayant traité pas moins de 8 168 procédures pénales et 3 791 affaires civiles en 2024 ».
Ce projet s’inscrit dans la continuité du plan « Un État fort en Seine-Saint-Denis », destiné à répondre aux défis spécifiques du département. L’objectif est clair : offrir aux justiciables « un palais de justice au fonctionnement modernisé et aux conditions d’accueil à la hauteur de leurs légitimes attentes ».
Pilotée par l’Agence publique pour l’immobilier de la justice (APIJ), l’extension prévoit de porter la surface du tribunal de 22 600 m² à près de 41 000 m². Le nouveau bâtiment accueillera notamment les services du pôle pénal (hors cour d’assises), le tribunal pour enfants, un nouveau dépôt, huit salles d’audiences publiques pénales, quarante salles d’audience de cabinet et douze salles de réunion. La première phase des travaux doit débuter au second semestre 2026 et s’achever en 2029.
« Nous veillerons, Monsieur le procureur, à ce que cette extension facilite le renforcement de la capacité de jugement de la juridiction, et qu’elle nous permette de poursuivre notre politique d’adaptation de nos organisations, de développement de nouvelles compétences et d’approfondissement de nos relations avec nos partenaires », a conclu la présidente du tribunal.
Dernier enjeu mis en avant par Anne Auclair-Rabinovitch : le maintien d’un équilibre entre l’activité civile et l’activité pénale, dans un contexte de hausse constante de la demande de justice. « L’année dernière, 42 231 affaires nouvelles ont été enregistrées en matière civile, contre 36 324 en matière pénale. 65 % des décisions rendues dans cette juridiction sont d’ordre civil », a-t-elle indiqué, avant de rappeler combien cet « équilibre est essentiel, car la justice civile apaise, prévient et répare ».
La magistrate a également tenu à souligner le rôle préventif de cette justice du quotidien : « Elle préserve, grâce aux décisions qu’elle rend, des conflits et tensions qui pourraient dégénérer jusqu’à la matière pénale. » La présidente a insisté sur cet effet de « vases communicants » qu’elle connaît bien, notamment dans le traitement des contentieux familiaux ou éducatifs : « Les juges des enfants, en matière d’assistance éducative, comme les juges aux affaires familiales, jouent un rôle central dans la préservation des équilibres sociaux. Réduire les forces qui s’y consacrent, c’est toujours s’exposer à un affaiblissement de la qualité de vie en société. »
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Parallèlement, la juridiction doit faire face à une activité pénale de plus en plus exigeante. Pour y répondre, « la création d’une troisième section d’assises et la mise en œuvre de la réforme pour lutter contre les trafics conforteront cette tendance lourde », a-t-elle expliqué, citant notamment la lutte contre « les violences intrafamiliales, l’exploitation des mineurs, la criminalité organisée et la délinquance financière », particulièrement importantes dans le département.
Mais la présidente n’a pas caché ses inquiétudes : comment maintenir cet équilibre entre civil et pénal, tout en renforçant la capacité de jugement criminel ? « La mise en place des cours criminelles départementales, composées uniquement de magistrats professionnels, sans jury populaire, nous y oblige », a-t-elle observé, précisant que « plus de 60 % des affaires criminelles faisant l’objet d’une ouverture d’information concernent des faits de viol », avec un nombre d’affaires nouvelles « en hausse très dynamique » mois après mois.
Un déséquilibre qui inquiète la présidente du tribunal. D’après « une première ébauche » d’évaluation interne, l’accroissement des audiences criminelles pourrait avoir un effet domino sur l’ensemble du fonctionnement de la juridiction. En se fondant sur le nombre d’audiences et de dossiers traités, cette hausse risquerait d’entraîner la suppression de « plus de 70 audiences correctionnelles et plus de 60 audiences pénales des juges des enfants ». Les répercussions s’étendraient aussi à d’autres contentieux : « les procédures de référé, la commission d’indemnisation des victimes, les affaires de proximité, les dossiers d’instruction ou encore le suivi des situations pénales par les juges d’application des peines », avec à la clé « une réduction du nombre d’audiences et des délais encore allongés », a alerté Anne Auclair-Rabinovitch.
Face à l’augmentation du nombre d’affaires, une évaluation complète de la mobilisation supplémentaire des magistrats du siège, notamment dans les cours d’assises et les cours criminelles départementales, sera présentée en décembre lors du conseil de juridiction, puis à l’audience solennelle de rentrée prévue en janvier 2026.
« Sans attendre, au regard des bouleversements à venir, je formule le vœu que des moyens supplémentaires – juridiques, budgétaires et surtout humains – soient à l’étude afin de permettre l’intégration d’une filière criminelle spécifique dans les tribunaux judiciaires », a plaidé la présidente. Avant de terminer son discours sur une note d’espérance : « Je souhaite vous assurer de ma détermination à œuvrer au service de la qualité de la justice, cette justice que Jules Romains illustrait ainsi dans Les amours enfantines : “La notion de Justice est irrésistible. Une goutte d’eau suffit. Du jour où les Sociétés ont accueilli une goutte de justice, on pouvait prévoir qu’il n’y aurait plus de repos tant que la goutte n’aurait pas tout retravaillé, tout transformé, tout amené à l’état de Justice.” »
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