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Alors que les politiques de limitation et d’adaptation au changement climatique sont de plus en plus nécessaires, elles restent encore loin des enjeux établis par les conférences internationales. Pire, leur financement est toujours un point de tension entre pays industrialisés et pays en développement. Un grand nombre de blocages persistent, décrypte Haitham Joumni, maître de conférences associé en économie à l’université Sorbonne Paris Nord.

« Le manque de financement des politiques climatiques n’existe plus ». Haitham Joumni, maître de conférences associé à l’université Sorbonne Paris Nord, insiste sur ce paradoxe : si en 2005, les politiques climatiques manquaient de fonds, 20 ans plus tard « le financement est là ». En 2022 par exemple, les pays riches ont mobilisé entre 28 à 35 milliards de dollars de financements climatiques, selon l’ONG Oxfam, « moins d’un tiers de la somme annoncée ».
« Mais [cet argent] n’est pas utilisé, parce qu’il y a un grand problème de structuration », souligne l’universitaire lors d’un colloque de l’école de commerce ESCLSCA « Droits des Affaires et Droits de l’homme », organisé le 5 décembre dernier. Ce qui accentue un clivage déjà existant entre les pays du Nord et ceux du Sud.
Ces derniers, qui subissent plus que les autres les effets du réchauffement, revendiquent que la lutte contre le changement climatique soit assumée principalement par les pays du Nord au nom de leur responsabilité historique dans la hausse des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Même si « la responsabilité est de plus en plus partagée avec certains pays émergents comme la Chine et l’Inde », précise l’économiste.
Et le coût de ces politiques explose, car les besoins s’intensifient. Notamment pour financer les politiques d’adaptation qui ont pris le pas sur les politiques de réduction des émissions, « car on a raté cette guerre-là », constate Haitham Joumni.
L’un des premiers mécanismes adoptés a été la taxation des émissions de gaz à effet de serre, inspirée par l’économiste anglais Arthur Pigou, qui permet de réduire la consommation d’énergies polluantes. Mais ce mécanisme est critiqué pour son absence de justice sociale. « Déjà, dans les pays du Sud, l’énergie est un besoin presque de service public. On l’a vu avec les Gilets Jaunes, le problème de la taxe est qu’elle ne distingue pas selon le revenu des gens. Par ailleurs, que fait-on de ces recettes ? Est-ce qu’on l’investit pour le climat ? ».
Le deuxième mécanisme, venu d’une « école libérale » et notamment de l’économiste britannique Ronald Coase, est le marché des quotas d’émission, ou marchés carbone : les entreprises disposent de quotas d’émission, celles qui polluent moins vendent leurs quotas inutilisés à celles qui polluent plus. Mais cela revient à autoriser, contre rémunération, à porter atteinte à des droits fondamentaux, en portant atteinte au climat.
Les deux systèmes coexistent souvent au sein des pays. Mais leur efficacité dépend de la présence d’une autorité capable d’imposer et de contrôler les règles. L’Union européenne en fournit l’un des quelques rares exemples, grâce à un encadrement juridique solide. Qui ne l’était pas tant au départ… Pour rappel, entre 2008 et 2009, une faille originelle a permis à un groupe d’escrocs de subtilisé 1,6 milliard d’euros à l’Etat français et 6 milliards à l’ensemble des pays de l’UE.
Au niveau international, la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) signée en 1994 reconnait le principe des « responsabilités communes mais différenciées » : tous les États doivent protéger l’environnement, mais cette responsabilité leur impose des charges différentes selon leur degré de contribution à la dégradation de l’environnement et selon leurs capacités financières et technologiques.
Les pays industrialisés ont des obligations fortes pour réduire leurs émissions : mise en place de marchés de quotas, mais également aide financière aux pays en développement, coopération technologique et éducative. Mais les contraintes, comme l’obligation de suivi et de déclaration des émissions (par le biais des Contributions déterminées au niveau national) pèsent sur les pays les plus pauvres.
De plus, les contributions publiques promises dans le cadre des accords internationaux restent limitées. Même si certains pays industrialisés financent le verdissement de projets dans des pays en développement pour récupérer le bénéfice de réduction d’émissions ainsi permis.
À côté de cela, les investissements privés progressent rapidement. Ainsi, près de 70% des flux climatiques passent désormais par des prêts ou des capitaux privés, aggravant la dépendance financière. Et Haitham Joumni a l’impression que « l’inclusion du partenariat sur place est assez faible. Les visites se font face à l’institution plutôt que face aux personnes concernées par le projet ». Résultat : des projets mal adaptés aux réalités locales et une dépendance durable aux bureaux d’études extérieurs, amplifiée par la complexité administrative des projets.
Les besoins diffèrent pourtant fortement selon les régions : crise hydrique au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, arbitrages industriels en Asie, très faible industrialisation et manque de capacité pour monter des projets bancaires en Afrique subsaharienne, vulnérabilité extrême des petits États insulaires.
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Certaines avancées existent : intégration croissante des dimensions sociales et environnementales dans les évaluations de projets, notamment par le FMI, et un changement de culture porté par les jeunes chefs de projet. La validation d’un « fonds des préjudices et dommages » lors de la dernière COP en novembre dernier marque également une étape symbolique importante : une première tranche, correspondant à 250 millions de dollars US au total, sera attribuée à partir de l’été 2026, pour des appels à projets.
Mais pour la rendre plus opérationnelle, il faudrait « réformer totalement la gouvernance financière internationale », alerte l’économiste.
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