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Utilisation des nouvelles technologies, difficultés de coordination entre les États et les différentes autorités… Quels défis restent à relever dans la protection des espaces maritimes ? 2025 a été appelée « Année de la mer » par la France, qui a réaffirmé, en juin aux Nations unies, l’importance d’un cap clair pour un contrôle renforcé des océans. L’École nationale de la magistrature et l’École du service public de la mer se sont penchées sur le sujet lors d’échanges consacrés à « la justice face aux nouvelles méthodes de contrôle en mer ». Autour de la table, la préfecture maritime, les douanes, le monde judiciaire et Interpol.

« Protéger, juger, réparer » : la journée de colloque organisée à Paris par l’École nationale de la magistrature (ENM) et l’École du service public de la mer (ESPMER), le 28 novembre veut souligner à quel point l’océan est devenu un espace où s’entremêlent désormais enjeux scientifiques, administratifs et judiciaires. « La mer n’est plus seulement un espace de nature, de travail ou de souveraineté, mais elle devient un espace de justice », appuie Clothilde Delsaut, cheffe du département Espaces maritimes et littoraux à l’ESPMER.
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Pêche illégale, trafic de drogue, atteintes au milieu marin, dégazages, falsification de l’identité ou du registre des navires… Les infractions commises en mer sont multiples et souvent difficiles à constater. Pourtant, il faut « assurer une justice à la hauteur des exigences de l’océan qui ne peut plus vivre », appelle Clothilde Delsaut. C’est dans ce contexte que l’ENM consacre une table ronde autour des différents défis rencontrés sur les contrôles en mer : la coordination entre l’administration et la justice, l’usage nouvelles technologies, la protection des données et la question des preuves sont au cœur des débats.
« On dit souvent que la mer est la plus grande scène de crime du monde », rappelle Maria Kotsovou, administratrice du programme de sécurité environnementale d’Interpol. « Aucune autre zone d’activité humaine ne réunit autant de facteurs de vulnérabilité : l’éloignement des autorités, la pluralité des juridictions, la diversité des régimes internationaux, l’absence ou la présence limitée de témoins et un écosystème criminel extrêmement flexible ». C’est dans cet environnement que la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (pêche INN) souvent associée à d’autres formes de criminalité transactionnelle, s’inscrit. Les preuves, parfois dispersées entre plusieurs états, les « états défaillants » qui ne contrôlent pas les navires sous leur pavillon, l’opacité sur les bénéficiaires effectifs des navires qui se cachent derrière des sociétés écrans figurent parmi les défis principaux dans la lutte contre la pêche INN et rendent parfois les poursuites complexes, impossibles ou mal ciblées.
La coopération entre les Etats est aussi parfois difficile, souligne Maria Kotsovou. « Partout dans le monde, le partage d’informations entre les autorités est limité, et encore plus dans les cas de crimes environnementaux. Les compétences sont réparties entre de nombreuses administrations, souvent sans coordination très efficace », regrette l’administratrice. À travers les réseaux sécurisés d’Interpol, les Etats peuvent échanger des alertes, des notices des modes opératoires, des trajectoires de navires suspectés de pêches INN. Et s’ils y consentent, les informations partagées par les Etats peuvent servir à alimenter les bases de données d’Interpol. « Ce n’est pas la loi qui freine ces partages, c’est la confiance, et la peur que les données soient mal utilisées ou détournées », déplore Maria Kotsovou.
Les douanes qui travaillent sur les trafics en mer et en particulier sur les trafics de stupéfiants se heurtent également à des problèmes de frontières et de coopération entre Etats. « Les pays européens comme la marine nationale n’interviennent que dans 15 % des cas où un renseignement existe : dans 85 % des situations, aucune action n’est menée malgré l’existence d’un renseignement. Il est donc essentiel d’augmenter le nombre d’interventions des moyens européens et de renforcer leur efficacité », estime Ronan Boillot,Directeur national de la Garde-Côtes des Douanes (DNGCD). Les interventions en haute mer se heurtent à des pratiques nationales très divergentes, tant dans la manière de fouiller un navire sous pavillon étranger que dans l’application du dispositif de « dissociation », là aussi interprété très différemment par les Etats européens.
Pour lutter contre les fraudes en mer, explique Ronan Boillot, la douane a besoin d’une vision complète de ce qui se passe « au-dessus de l’eau » grâce à des données provenant de l’AIS (Automatic Identification System), obtenues par des satellites qui permettent de prendre des photos et les signatures électromagnétiques des bateaux, des avions et des drones, avance Ronan Boillot. Certaines de ces données sont des données personnelles. Leur traitement et leur partage sont encadrés, notamment par le règlement général sur la protection des données (RGPD). «C’est un cadre qui est posé par la loi française, et on l’applique strictement, mais ça nécessite des travaux très lourds », énonce le DNGCD. « Des contraintes que n’ont pas nos trafiquants ».
Alexis Morel est à la tête de plusieurs structures directement impliquées dans ces questions de contrôles en mer : le CROSS Etel (Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage), le Centre National de Surveillance des Pêches (CNSP) et le Centre National d’Appui à la Surveillance et au Contrôle de l’Environnement Marin (CACEM). Le CNSP et le CACEM « ont été créés de manière à être des facilitateurs et optimiser le contrôle en mer », explique Alexis Morel. Le but de ces centres est «d’abord de centraliser cette réglementation très complexe et diffuse, pour que nos agents verbalisateurs sachent ce qu’ils ont à contrôler et où ».
Au lendemain de la catastrophe de l’Erika, en 1999, l’un des enjeux soulevés au niveau européen était de déterminer comment surveiller les navires approchant des côtes et prévenir les rejets illicites. Pour Alexis Morel, les contrôles et l’anticipation sur l’identification des situations infractionnelles vivent une « révolution ». En avril dernier, la cour d’appel de Rouen a condamné le capitaine du navire et l’armateur du Guardians pour dégazage, grâce à un cliché satellitaire. Autrefois, il aurait fallu « une détection sur zone », notamment avec les moyens de la douane. En ce qui concerne les infractions de pêche, même si la photo du satellite ne suffit pas, elle permet tout de même de cibler avant d’effectuer un contrôle. Aujourd’hui, la « logique de surveillance »a laissé place à une « logique de contrôle », estime-t-il. « A force de procédures, à force de coopérations, à force d’optimisation de nos technologies », et à condition que les procédures n’aient pas de défauts de forme et que les agents soient correctement formés, « demain, les juridictions pourront avoir un impact énorme », jauge Alexis Morel.
Certaines infractions sont plus difficiles à démontrer que d’autres : c’est par exemple le cas lorsqu’une substance déversée en mer n’est visée par la Convention internationale pour la prévention de la pollution par les navires. Dans ce cas-là, « on est obligé de procéder par expertise pour démontrer l’effet nuisible d’une substance », explique Solenn Briand, magistrate et cheffe du service national d’enquête et de contrôle à l’Office français de la biodiversité. « Il faut avoir des services immédiatement mobilisables sur place pour aller constater une éventuelle mortalité. La substance peut disparaître très rapidement. Il y a donc une difficulté de constatation, car il faut faire des prélèvements et avoir des experts qui sont clairs sur le caractère nuisible de la substance ». Ces obstacles peuvent décourager, face à la quantité de moyens humains et financiers à déployer, et pour une issue incertaine. « Mais il faut y aller pour créer de la jurisprudence, et obtenir des résultats », insiste Solenn Briand.
Les nouvelles technologies peuvent aussi déboucher sur des conflits d’usages ou des nouveaux défis réglementaires. A l’heure où les projets de parcs éoliens en ZEE (Zone Économique Exclusive) sont nombreux, le cadre réglementaire reste encore flou. Les règles de circulation autour de ces parcs en ZEE« ne sont pas complètement stabilisées, selon l’interprétation plus ou moins volontariste de la convention de Montego Bay, qui prévoit notamment la possibilité pour l’Etat côtier de mettre en place des zones de restriction de navigation de 500 autour des futures éoliennes », explique Alexandre Ely, adjoint pour l’action de l’État en mer du préfet maritime de l’Atlantique. A partir de quel repère faut-il mesurer ce périmètre ? A partir des éoliennes extérieures ? La question est encore en suspens. « Ces questions juridiques sont importantes, parce que si elles sont mal conçues ou si elles nous placent dans des situations de contrôle complexes à réaliser, elles auront nécessairement, à terme, un volet judiciaire », conclut Alexandre Ely.
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