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Cette année, plusieurs tribunaux ont consacré leur tout dernier conseil de juridiction à un sujet brûlant : l’accompagnement des victimes en amont, pendant et après le procès. Aperçu des réflexions au tribunal judiciaire de Libourne (33) qui a détaillé ce lundi des pistes pour améliorer la confrontation des victimes avec le système judiciaire. Un vœu exprimé quelques mois plus tôt par le garde des Sceaux.

Comment placer les « victimes au centre » du système judiciaire ? Une question au cœur des cours et des tribunaux en cette fin d’année. Plusieurs juridictions ont ainsi consacré leur dernier conseil à la préparation du justiciable. À l’instar du tribunal judiciaire de Libourne qui a présenté, le 8 décembre dernier, des pistes d’amélioration pour accompagner les victimes d’infraction tout au long de la procédure.
Autour de la table, une douzaine d’intervenants, à l’invitation de Laëtitia Dautel et Loïs Raschel, présidente et procureur du TJ girondin. Élus, greffiers, intervenants en gendarmerie ou de DPIP se sont retrouvés sur l’importance d’un fonctionnement en bonne intelligence entre les différents corps de métiers. Mais aussi sur la nécessité de former à l’aspect psychologique des prises en charge.
« L’avocat ne peut pas tout faire et ne sait pas tout faire, a ainsi témoigné Raphaël Monroux, bâtonnier de l’ordre des avocats du barreau de Libourne. Pour bien préparer le justiciable à l’audience, je crois au travail pluridisciplinaire, sans concurrence et complémentaire avec les associations de victimes ».
À ce titre, l’association Vict’Aid – service agréé d’aide aux victimes d’infractions pénales, intervenant au Bureau d’aide aux victimes du TJ de Libourne – mobilise une juriste deux jours par semaine en comparution immédiate, et deux autres jours en correctionnelle et sur reconnaissance préalable de culpabilité (CRPC).
« Nous apportons d’abord un soutien juridique qui englobe une information sur les droits, la constitution de parties civiles et la présence de l’avocat », a expliqué Stéphanie Lars, juriste référente des dispositifs de protection au sein de l’association.
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Un accompagnement qui demande de la réactivité. « Parfois, nous recevons les coordonnées de la victime seulement quelques minutes avant, voire au moment-même où nous la rencontrons sur place. C’est pourquoi nous avons été formées pour identifier ses besoins et ses souhaits sur un temps très court, afin qu’elle puisse s’exprimer au mieux lors de l’audience ou pour l’orienter en urgence vers un avocat. D’où l’importance de notre collaboration étroite avec le barreau ».
Cette aide tient également de l’ordre du psychologique. « Un procès peut constituer une épreuve à plusieurs titres. Certaines victimes ne sont jamais entrées dans un tribunal avant leur audience. Elles vont également se confronter à l’auteur des faits. On pense évidemment aux violences intrafamiliales, dont les procès dévoilent de plus une part d’intimité ».
Pour Stéphanie Lars, ce moment « à la fois crucial et compliqué » qui marque l’achèvement d’une procédure « où les émotions se bousculent » peut être préparé « en amont ». La juriste a aussi souligné le rôle sécurisant des associations pendant l’audience : « si nos membres s’abstiennent de prendre la parole, leur simple présence aux côtés de la victime permet de la rassurer, sans pour autant empiéter sur le rôle de l’avocat ».
Parmi les autres retours d’expérience, celui de Chloé Gracio. L’attachée de justice au TJ de Libourne a souligné l’impact délétère qu’une décision judiciaire peut avoir sur la santé psychologique d’une victime, à l’image des classements sans suite, « la réponse pénale la plus incomprise par les justiciables ».
Pour rappel, la victime est informée par courrier de ce classement, du motif du classement et des possibilités de recours, quel que soit ce motif. Cependant, « lorsque qu’il est seulement écrit sur la lettre que l’infraction est insuffisamment caractérisée pour engager des poursuites, il est difficile pour une personne lambda qui n’a pas suivi de cours de droit, de comprendre vraiment ce à quoi il est fait référence, a rappelé la professionnelle. C’est pourtant une décision qui aura des conséquences sur l’ensemble de sa vie ».
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Dans l’optique de mieux communiquer, la juridiction de Libourne a mis en place un groupe de travail « afin d’enrichir ses avis à victimes, de les personnaliser et d’améliorer l’explication du motif, détaille Chloé Gracio. L’idée est de faire comprendre à ces personnes que leur parole a véritablement été entendue. Et qu’un classement sans suite n’est pas une fin en soi ».
Pour aller plus loin, la juridiction s’interroge aussi sur la possibilité de remplacer le terme de« classement sans suite » par celui d’« enregistrement sans poursuite », « qui sera perçu peut-être de manière un peu plus favorable », a expliqué le procureur Loïs Raschel. Une idée qui figure déjà dans le rapport A VIF sur la politique de lutte contre les violences intrafamiliales, remis au garde des Sceaux, le 25 novembre dernier, par les magistrats Gwenola Joly-Coz et Éric Corbaux.
À la mairie de Libourne, où s’est décentralisé le conseil de juridiction, les intervenants ont aussi mis en avant les failles latentes constatées dans la pratique : un maillage d’acteurs très variés (de l’agent d’accueil en point justice au gendarme) qui nécessite une connaissance rigoureuse des enjeux et procédures, « cruciale » pour orienter correctement les justiciables et ne pas perdre de temps.
Tout aussi cruciales, des problématiques liées à « l’après audience » ont été identifiées. Bernard Lauret, maire de Saint-Emilion, s’est ainsi étonné que dans le cas de violences intrafamiliales, « les maires ne soient pas au courant des mesures d’éloignement décidées ». Il a également prêché pour être informé en cas de condamnation de l’un de ses administrés.
Elisa Noblia, attachée de justice au TJ de Libourne, a insisté pour sa part sur l’importance que les élus locaux aient connaissance de l’existence du SARVI (Service d’Aide au Recouvrement des Victimes d’Infractions du Fonds de Garantie des Victimes) qui aide les victimes à recouvrer les dommages et intérêts alloués par le tribunal à l’issue d’un procès pénal. Ce dispositif a soutenu plus de 60 000 victimes en 2024, ce qui équivaut à 38 millions d’euros d’indemnités versées.
Ces questions soulevées à Libourne suivent un élan national, actuellement porté par la visibilisation croissante du combat mené contre les violences faites aux femmes. En octobre dernier, Gérald Darmanin avait justement annoncé vouloir changer radicalement le « paradigme » du ministère de la Justice dans l’accompagnement des victimes, en leur promettant notamment d’être informées de la sortie de prison de leur agresseur.
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