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Mardi 9 décembre, le Sénat s’est plongé dans son passé avec une célébration des 120 ans de la loi de Séparation des Eglises et de l’Etat, adoptée par la France le 9 décembre 1905. Au menu de cet anniversaire, une mise en contexte historique des débats qui agitaient l’époque, et des lectures des écrits des principaux protagonistes de cette loi fondatrice.

« Et maintenant, nous allons écouter Jean Jaurès. » On n’avait pas dû entendre cette phrase depuis plus d’un siècle, dans l’hémicycle. Pourtant, en ce mardi de décembre 2025, c’est bien Sylvie Robert, vice-présidente (PS) du Sénat, qui accueille ainsi Alban Rochelois, étudiant de Reims. Le jeune homme joue le rôle du député et s’apprête à lire un article du 4 juillet 1905, paru dans l’Humanité, relatif à l’examen du projet de loi à la Chambre des députés. Un article qui « témoigne du soutien franc, net et massif qu’apporte Jaurès à la séparation des Eglises et de l’Etat telle que l’a préparée le rapporteur ad hoc Aristide Briand », éclaire Gilles Candar, historien et président de la Société d’études jaurésiennes. Il commente chaque lecture et apporte des précisions salutaires avant les discours. Ils sont assurés par les étudiants membres de la Fédération Française de Débat et d’Éloquence. Leurs familles, émues, sont présentes dans le petit hémicycle de la salle Médicis.
Sûr de l’adoption du texte, le député Jaurès l’affirme : « La victoire de la grande réforme est maintenant certaine, et la Chambre peut, d’une seule haleine, atteindre au but avant le 1er mai. Qui se refuserait à l’effort de séances multipliées, et à une méthode de discussion ordonnée et de libre discipline, quand le prix de cet effort est une des plus grandes victoires que puissent remporter la République, la conscience et la raison ? »
L’étudiant, tout comme les six autres jeunes orateurs qui montrent ce soir-là de grands talents d’éloquence, est fortement applaudi. Durant la soirée, on entendra aussi, via leurs voix, les mots d’Emile Combes, président du Conseil et ministre des Cultes, Aristide Briand, rapporteur de la commission et à l’origine des termes « séparation loyale et complète des Églises et de l’État » (le mot « laïcité » n’apparaît pas dans le texte de 1905), et Georges Clémenceau. Critique de la loi de Séparation, ce dernier sera pourtant chargé de son application en tant que ministre de l’Intérieur. Lors de son discours, prononcé ce soir-là par Clémence Le Foll, étudiante à l’université Paris-Saclay, il regrette un texte « qui n’est pas un chef d’œuvre », tout comme il dénonce ces « fanatiques en armes attaquer nos soldats, les frapper à coups de crucifix, méconnaissant ainsi le verbe dont il se réclament ». Le public de la salle Médicis frémit. Le texte de Clémenceau n’a pas pris beaucoup de rides.
Il y a 120 ans, le vote de la loi Séparation n’était donc pas une mince affaire, et c’est bien ce que veut rappeler le Sénat lors de cette soirée de célébrations. « On parle bien d’une loi qui met à égalité devant la loi tous les citoyens, sans distinction, qui assure la liberté de conscience, mais qui ne reconnaît ni ne subventionne aucun culte », rappelle Gilles Candar. Il souligne aussi une loi née de volontés multipartites, pas « antireligieuses » et qui, au contraire, donne de plus grandes libertés aux Eglises, les défaisant des dogmes étatiques. « Cette loi est fille du Parlement », décrit l’historien.
Gérard Larcher, président du Sénat, accueille les débats. Il dépeint une laïcité à la française qui s’écrit désormais « sans adjectifs », telle que créée par la commission Stasi, « ici, au Sénat ». Il s’adresse à cette génération qui « ne mesure pas forcément ce qu’elle doit à la laïcité », et incite à « rester vigilants face aux communautarismes de toute sorte ». Et de citer Louis Aragon : « Avenir souvenir nuances si légères, Au feu de ce qui fut, brûle ce qui sera. » Pour les sénateurs, c’est bien d’éclairer le présent et l’avenir dont il s’agit aujourd’hui. Et pour Pierre Ouzoulias, vice-président (PCF) du Sénat et organisateur de l’événement, « se plonger dans l’Histoire pour éclaire aujourd’hui » était bien l’objectif. Il rappelle une autre « loi », plus obscure celle-ci, qui dit que plus un texte est long à l’adoption, plus sa longévité est assurée. Quelques rires se font entendre. Au sein de ce même Sénat, les débats sur le budget 2026 ne sont pas encore terminés.
« Au-delà de nos opinions, nos confessions, il fallait rappeler de nous rassembler sur l’essentiel ». Comprendre et confronter la volonté des législateurs de l’époque à la pratique d’aujourd’hui permet, pour lui, de redonner du sens à ces grandes lois qui consacrent la liberté religieuse ou encore la liberté de la presse. « Nul ne conteste, aujourd’hui, les libertés de conscience et de culte », conclut-il. La loi 1905, c’est la capacité de s’émanciper des religions et d’exercer son esprit critique de citoyen ». Une notion très présente dans les écrits de Briand et de Jaurès.
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