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La commission internationale du barreau de Nantes accueille, ce mercredi 10 décembre, la cinquième édition de ses « Journées internationales », consacrées à la liberté d’expression. Cette année, des avocats et journalistes afghans, iraniens, américains, mexicains, turcs et français débattront des libertés aux quatre coins du globe. Président de la commission organisatrice, Me Roland Rinaldo ne cache pas son inquiétude face à ce qu’il qualifie « d’atteinte aux fondements de l’état de droit ».

Journal Spécial des Sociétés : Pourquoi avoir retenu ce thème de la liberté d’expression ?
Roland Rinaldo : Nous choisissons chaque année une thématique différente dans l’idée de montrer les capacités des avocats du barreau de Nantes à répondre des problématiques internationales. L’une de nos consœurs, qui intervient régulièrement à la Cour européenne des droits de l’homme, a l’habitude de recevoir des stagiaires. En décembre 2024, elle nous a fait remarquer qu’entre nous, avocats, nous avions la même compréhension de ce que devrait être la liberté d’expression, mais que pour la jeune génération, ces requis-là ne sont pas forcément partagés. On s’est rendu compte que ce que l’on considérait comme quelque chose d’acquis ne l’est en fait pas véritablement.
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Cette année, notamment depuis l’arrivée de l’administration Trump, nous avons constaté de fortes atteintes envers la presse, mais également contre la liberté d’expression des avocats. Certains, du fait d’avoir assisté ou représenté des opposants politiques, ne pouvaient par exemple plus répondre à des appels d’offres publics… En déroulant la bobine, nous avons mis le doigt sur un mouvement de fond d’atteinte à ce qui est le fondement de l’État de droit.
JSS : Vous avez cité l’administration Trump, nous pouvons aussi évoquer la récente condamnation d’Ahmed Souab, en Tunisie, après qu’il a dénoncé des pressions politiques à son égard… Peut-on dire que la liberté d’expression des avocats est fragile ?
R. R. : On constate effectivement des atteintes, on voit que les lignes sont en train de bouger. Il y a manifestement un mouvement sur les démocraties illibérales, une mission parlementaire a d’ailleurs été enclenchée sur le sujet. On se rend compte que la liberté d’expression n’est plus une valeur partagée par tous. Cela montre que la démocratie est quelque chose de fragile et qu’il faut se battre pour la maintenir. En tant qu’avocat, on cherche notre place dans le débat public. Nous sommes garants de l’État de droit pour nos clients. Et puis, nous avons aussi de la solidarité envers nos confrères étrangers. Vous avez cité Ahmed Souab, on peut également parler de Sonia Dahmani, qui a été récemment libérée, ou de confrères turcs qui sont menacés pour avoir assisté des personnalités politiques kurdes.
La très lourde condamnation d’Ahmed Souab est absolument abjecte et révoltante.
Roland Rinaldo, organisateur des Journées internationales autour de la liberté d’expression
Là-dessus, la commission internationale du barreau de Nantes est très active, notamment auprès de l’OIAD, dans le cas de missions d’observation judiciaire dont le but est de s’assurer du bon déroulement des procès, du respect du contradictoire… Et on se rend compte que ces libertés ne sont pas du tout une évidence. La très lourde condamnation d’Ahmed Souab est absolument abjecte et révoltante. Notre confrère du barreau de Nantes qui avait fait le déplacement en tant qu’observateur n’a d’ailleurs même pas pu entrer à l’audience.
JSS : Il s’agit d’un phénomène mondial…
R. R. : En effet, les informations qui remontent de l’OIAD sont tout à fait alarmantes, notamment en Afrique, en Amérique du Sud et en Asie. Nous ne souhaitons pas cibler de pays en particulier, mais certains confrères nous alertent directement d’atteintes aux droits de l’homme commises à l’égard de justiciables ou d’avocats, avec des détentions arbitraires, des molestations, des insultes, des menaces… À ce sujet, nous ne communiquons qu’à leur demande, quand nous avons la possibilité de recouper les informations afin de garantir une mobilisation juste et légitime. Nous ne voulons pas que nos prises de position puissent être interprétées comme un prolongement de relents coloniaux.
Au mois d’avril, nous avons porté une motion de soutien à nos confrères camerounais en relayant un communiqué du bâtonnier de Douala sur le site internet du barreau de Nantes. Cette publication a été reprise par des organes de presse proches du pouvoir pour contester un nouvel épisode de la Françafrique. On reste donc toujours très prudents dans nos actions.
JSS : Où en est-on, en France, sur cette question de la liberté d’expression des avocats ?
R. R. : Heureusement, nous avons des instruments normatifs qui datent de la loi sur la liberté de la presse, en 1881, qui permettent de poser un cadre législatif et jurisprudentiel. Mais on ne peut que constater une remise en question de ces libertés dans le débat démocratique, par la parole de certaines personnalités politiques, souvent au nom d’une meilleure efficacité de la réponse pénale… Il nous est parfois reproché d’exercer un certain nombre de missions. Maintenant, il est vrai qu’on a peut-être notre mea culpa à faire en termes de communication, notamment sur les réseaux sociaux. Dans certains cas, des confrères ont dérapé.
JSS : Faites-vous référence aux vidéos de Nadia El Bouroumi, avocat de la défense lors de l’affaire Pelicot ?
R. R. : Notamment, oui. Cette consœur fait l’objet d’une plainte déontologique pour des publications sur les réseaux sociaux. On en pense ce que l’on veut, je laisse les instances ordinales traiter le sujet, mais cela montre que nous rencontrons des difficultés à trouver le bon mode de communication. La notion d’avocat-influenceur interroge. Personnellement, je crois qu’il serait bête de se passer des réseaux sociaux. Il faut se saisir de cet espace, mais veiller à le faire dans le respect de la déontologie et de nos principes fondamentaux de dignité et de courtoisie.
JSS : Le 10 décembre, des intervenants viendront des quatre coins du monde… Comment avez-vous composé ce plateau ?
R. R. : D’abord, nous ne sommes pas là pour stigmatiser tel ou tel pays, mais nous voulions que ce plateau soit représentatif de l’état des menaces dans le monde. La date du 10 décembre n’est pas choisie au hasard : c’est la Journée de défense des droits de l’homme. Certains confrères n’ont pas pu se libérer car il fallait mettre leur activité professionnelle entre parenthèses, et ce n’est jamais évident. Mais nous avons des confrères d’Afghanistan, de Turquie, du Mexique… Un journaliste d’Iran. Une consœur du barreau de Washington sera également là, et c’est évidemment d’actualité. Cette année, l’OIAD a émis une alerte sur la situation des avocats américains. C’est impensable quand on sait qu’aux Etats-Unis, la liberté d’expression devait être impérieuse et absolue, protégée par la Constitution. Mais on constate même des reculs dans ce pays qui était le flambeau, l’État pionner de ces thématiques…
JSS : En parallèle, vous organisez une exposition « Visages de la liberté » à la faculté de droit, jusqu’au 23 janvier…
R. R. : En effet, il s’agit d’un projet que l’on porte avec l’Union internationale des avocats et le Conseil national des barreaux. La toute première représentation publique a eu lieu au tribunal judiciaire de Nantes, en décembre 2020. À l’époque, il y avait une douzaine de portraits. Nous en avons ajouté d’autres en fonction de l’actualité. L’idée est de mettre en lumière les combats de confrères qui ont été menacés pour avoir défendu des minorités ethniques, sexuelles ou culturelles. Parfois par des organisations criminelles, comme des cartels en Amérique du Sud, mais pas que… On peut citer Derk Wiersum qui, un peu comme le frère de cet activiste marseillais dernièrement (Mehdi Kessaci, ndlr), a été assassiné aux Pays-Bas en septembre 2019 pour avoir mis l’accent sur le trafic de drogue. Des pressions peuvent aussi venir d’états. C’est le cas en Afrique, envers des confrères qui ont défendu des minorités pastorales expropriées pour permettre l’implantation de projets miniers, pétroliers ou gaziers.
On ne manque pas d’exemples, et on voit bien qu’il faut une grande force pour continuer ce combat. Nous avions eu à cœur de montrer les visages de ces personnes qui peuvent être détenues, arrêtées, voire en exil, comme Raana Habibi, cette consœur afghane qui a dû fuir quand les Talibans sont arrivés au pouvoir. Elle défendait des femmes, notamment contre des mariages imposés… Elle avait réussi à faire condamner des agresseurs, et était donc une cible pour les talibans. Nous sommes très heureux qu’elle fasse partie de nos intervenants le 10 décembre. Cela permettra de faire un pont entre l’exposition et le colloque.
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