Article précédent

Les rapporteures de la délégation aux droits des femmes du Sénat estiment que ces mesures, appliquées à l’enseignement supérieures, sont efficaces pour inciter des jeunes femmes minoritaires et trop souvent victimes de sexisme.
200 pages, de nombreuses auditions et déplacements pour « un travail de fond » sur la question de la féminisation des sciences. Après huit mois de travaux, le Sénat a présenté ce mercredi 8 octobre un rapport et 20 recommandations pour lutter contre la sous-représentation des femmes dans les parcours et les carrières scientifiques. « Un enjeu d’égalité, de justice mais aussi d’innovation scientifique et de compétitivité économique. En un mot : de souveraineté nationale », a insisté la sénatrice Dominique Vérien (Union centriste).
L’enjeu ne se cantonne pas à l’accès des filles et des femmes aux sciences de façon générale, « mais bien aux mathématiques, aux sciences physiques, à l’informatique, aux sciences de l’ingénieur, les filières dites STIM », résume la présidente de la délégation aux droits des femmes. Pour rappel, en France, les femmes ne représentent qu’un tiers des chercheurs scientifiques et un quart des ingénieurs. Un chiffre qui stagne ces dernières années.
A l’école primaire « où tout commence », dans l’enseignement secondaire et les choix d’orientation, puis dans l’enseignement supérieur et enfin les carrières professionnelles, des données édifiantes témoignent de mécanismes d’(auto)éviction systémiques, documentés dans le rapport.
À lire aussi : Sciences : où sont les femmes ? Le Sénat veut réfléchir à des solutions
Un exemple : alors que filles et garçons ont des résultats quasi-identiques en mathématiques en entrant en CP, les garçons ont une avance marquée… dès quatre mois de CP ! Ces écarts, qui se creusent tout au long de l’école primaire, sont, en France, les plus élevés des pays européens et de l’OCDE. Ils sont encore plus précoces et marqués chez les enfants issus de familles très favorisées, « sans doute parce qu’elles encouragent davantage la compétitivité académique de leurs fils », a expliqué la sénatrice Jocelyne Antoine (Union centriste).
Cette sous-représentation massive, « résultant de biais, de stéréotypes, d’inégalités et de violences qui jalonnent le parcours scolaire et professionnel des filles et des femmes » ne « se résoudra pas par magie », a insisté la sénatrice et co-rapporteure, Marie-Do Aeschlimann (LR). Pour y remédier, le Sénat propose donc la manière forte avec un outil parfois décrié : celui des quotas. Notamment dans l’enseignement supérieur scientifique.
En mai dernier, la ministre de l’Education Elisabeth Borne avait annoncé des ambitions chiffrées : celle d’atteindre 20 % de filles dans chaque classe préparatoire scientifique en 2026 et 30 % à l’horizon 2030. L’annonce de la ministre a en quelque sorte devancé le travail de la délégation sur ce point, reconnaissent les rapporteures qui se disent « tout à fait favorables » à de telles visées. « On peut bien sûr aller plus loin, mais 30 %, ce serait déjà formidable », a cadré l’élue Laure Darcos (Les Indépendants).
Pour le Sénat, l’outil apparaît comme nécessaire, et la Chambre Haute le maintient, même s’il ressort d’une audition au lycée Louis-Legrand que les principales intéressées sont réticentes à l’idée de se voir imposer des quotas. « Il va falloir convaincre les femmes », a admis la sénatrice.
Un argument pour cela : l’exemple de la politique. Pas étonnant de la part d’élues issues de la parité. « Aux étudiantes, nous disons : Pensez aussi que vous agissez et que vous travaillez pour les générations suivantes. La première génération sera toujours soupçonnée d’avoir été prise en raison d’un quota ». « Ça a été le cas pour la politique avant de rentrer dans les mœurs », argumente la délégation.
Par ailleurs, le Sénat va plus loin dans ses recommandations en préconisant de développer, dans le supérieur, des « espaces temporaires de non-mixité ». Concrètement, il pourrait par exemple s’agir de mettre en place des stages thématiques d’approfondissement dédiées uniquement aux filles, au cours de leurs études. « Parce qu’il y a beaucoup d’abandon de filles dans les premiers mois, avant les vacances de Toussaint », a fait remarquer la sénatrice Marie-Pierre Monier.
« Les filles ont intériorisé que la difficulté qu’il y a pour elles d’être avec une majorité de garçons. Elles savent qu’il va falloir s’imposer, faire face à des comportements masculins. Parfois, elles n’y vont pas tout simplement parce qu’elles n’ont pas envie de poursuivre dans ces conditions ».
À lire aussi : La Cour des comptes dresse un bilan « décourageant » des inégalités de genre à l’entrée dans le monde professionnel
Pour appuyer cette recommandation, le Sénat tient également à rappeler que les écoles normales supérieures (ENS) n’étaient pas mixtes avant 1986. « Vous aviez d’un côté les filles, d’un côté les garçons et donc 50% de filles présentes. Puis, on a rendu ces écoles mixtes et là, notre place s’est effondrée ». La prestigieuse école Polytechnique, elle-même, envisagerait de créer une classe prépa réservée aux filles, indique Marie-Pierre Monier.
Plus généralement, la Chambre Haute entend promouvoir tout type de dispositifs « incitatifs et accueillants pour les filles » : bourses dédiées, places en internat, regroupement dans les classes sélectives. L’idée étant de « construire un environnement favorable et protecteur pour les étudiantes ».
De protection contre les violences sexistes et sexuelles (VSS), il est aussi question dans ce rapport qui souhaite rendre obligatoire, dans l’ensemble des établissements d’enseignement supérieur, la mise en œuvre d’un plan de lutte contre les VSS et la formation du personnel sur ces questions.
Dans le secteur professionnel aussi, le Sénat pointe du doigt « des carrières féminines ralenties voire anéanties par des discriminations, des inégalités et des VSS ». Une femme scientifique sur deux déclare avoir été personnellement confrontée à une situation de harcèlement sexuel au travail, mais seulement une sur cinq en a parlé au sein de son institution, relève la Chambre Haute.
Or, il est aujourd’hui indispensable de former au moins 20 000 ingénieures et ingénieurs et 60 000 techniciennes et techniciens de plus chaque année pour permettre à la France de rester
compétitive dans les domaines scientifiques.
A lire aussi : « Féminisation ne veut pas dire parité » : dans la magistrature, les femmes peinent toujours à s’imposer
Pour les élues, il faut agir au niveau du recrutement et de la promotion des enseignants et enseignants-chercheurs, là encore via des quotas, mais aussi par la formation des jurys aux biais de genre, la révision des critères d’évaluation et le mentorat. Le rapport préconise enfin de renforcer les dispositifs de lutte contre les VSS « afin de créer des espaces protecteurs pour les femmes scientifiques ».
THÉMATIQUES ASSOCIÉES
Infos locales, analyses et enquêtes : restez informé(e) sans limite.
Recevez gratuitement un concentré d’actualité chaque semaine.
0 Commentaire
Laisser un commentaire
Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *