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INTERVIEW. Créé en janvier 2025, le syndicat Justice administrative collective et indépendante (Jaci) revendique un positionnement politique mais apartisan. Ses membres se positionnent contre une tendance politique qu’ils estiment hostiles à l’État de droit et aux libertés fondamentales. Rencontre avec son président.

Il ne se crée pas de syndicats tous les jours dans la magistrature administrative. D’autant moins d’organisations qui revendiquent de prendre position sur des sujets politiques. En janvier dernier, une nouvelle organisation a vu le jour aux côtés des syndicats historiques que sont le SJA et l’Usma : Jaci pour Justice administrative collective et indépendante. Comptant à ce jour une cinquantaine d’adhérents, le syndicat sera toutefois trop jeune pour être autorisé à participer aux prochaines élections professionnelles en 2026. Il espère néanmoins prendre part au débat public et faire entendre une autre voix, plus politique et engagée. Thomas Giraud, son président et juge au tribunal administratif de Nantes, répond au JSS.
Journal spécial des sociétés : Quels constats ont motivé la création de ce syndicat ?
Thomas Giraud : Nous étions plusieurs magistrats administratifs, anciennement syndiqués ou non dans l’une des deux organisations historiques de notre corps, à vouloir autre chose. Nous estimions que nos représentants professionnels ne s’engageaient peut-être pas assez dans les sujets politiques au sens large, ceux qui touchent à la société et que le travail juridictionnel impacte. Ces syndicats mènent bien leur travail dans les relations avec notre gestionnaire, avec le Conseil d’Etat, ce n’est pas le grief. Mais il nous apparaît que nous ne pouvons pas rester distants d’un certain nombre de questions politiques qui se retrouvent au quotidien dans notre travail juridique.
La loi immigration adoptée en janvier 2024 a été un déclic. Les appels à la grève nous ont semblé focalisés sur les conditions et l’organisation du travail dans les tribunaux administratifs. Or, même s’il y a régulièrement des lois relatives au droit des étrangers, celle-ci a passé un cap. Il s’agit d’un texte qui a notamment cherché à introduire le concept de préférence nationale dans le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Un recul important en droit dont plusieurs dispositions ont d’ailleurs été annulées par le Conseil constitutionnel.
JSS : Jaci revendique donc d’être politique. Est-ce le rôle d’un syndicat ?
T. G. : L’apolitisme, si celui-ci a vraiment un sens, était certainement pertinent il y a 20 ou 25 ans, mais la montée des menaces contre l’État de droit nous semble poser d’autres enjeux. Le danger, c’est par ailleurs de continuer à appliquer le droit parce que c’est le droit, sans interroger le risque politique que certaines lois peuvent porter. Bien sûr, nous ne disons pas du tout qu’il ne faut pas faire respecter le droit quand il est voté. Nous souhaitons agir en amont, ne pas contribuer de manière passive à la mise en œuvre de mesures de plus en plus liberticides ou qui remettent en cause l’égal accès au service public de la justice.
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Nous assumons donc d’animer un syndicat politique, en précisant bien que c’est le collectif qui l’est et non chaque magistrat. Il ne faut pas se cacher, les organisations dont nous sommes proches nous marquent plutôt à gauche. Nous avons des relations avec le SM ou le SAF, ou des associations comme la Ligue des droits de l’Homme. Toutefois, être politique n’empêche pas d’être apartisan. Nous refusons et nous refuserons toujours toute affiliation à un parti politique. C’est une barrière importante.
JSS : Comment Jaci et cette revendication politique ont-ils été reçus dans la juridiction administrative ?
T. G. : Nous recevons à chaque prise de parole ou communication de nouvelles adhésions. Jaci ne sera probablement jamais majoritaire mais je crois qu’il existe un socle de magistrats qui se reconnaissent dans nos idées. C’est la preuve que notre positionnement intéresse.
Par ailleurs, c’est certain, une partie de nos collègues craint que nos idées puissent nuire à l’image de la juridiction mais il ne faut pas se bercer d’illusions. Nous avons toutes et tous des sensibilités et des convictions qui nous distinguent, cela ne nous empêche pas d’exercer nos fonctions comme il se doit. Sans être trop surplombant, ceux à qui la sensibilité de gauche du syndicat pose problème ne se posent peut-être pas assez la question de leurs propres opinions.
JSS : À ce sujet, le média StreetPress a révélé la candidature aux municipales d’un magistrat du tribunal administratif de Melun sous l’étiquette du Rassemblement national (RN). Selon le site d’extrême-droite Frontières, vous auriez contribué à le cibler.
T. G. : J’ai été contacté par StreetPress pour réagir à cette candidature et je tiens à indiquer que je n’avais jamais entendu parler de ce magistrat auparavant, ni de sa candidature. Jaci n’a en rien participé à cette enquête.
JSS : Et sur le fond, que pensez-vous de cette candidature ?
T. G. : Le Conseil d’Etat a toujours admis la possibilité pour un magistrat administratif de se présenter à une élection. Je ne veux pas non plus préjuger du travail de ce magistrat. Je suis sûr qu’il essaye au maximum de se départir de ses opinions dans le cadre de ses fonctions et qu’il y parvient certainement.
Il n’empêche qu’il est difficile de ne pas trouver problématique de se présenter sous la bannière d’un parti qui s’est construit sur une idéologie hostile aux étrangers. Encore récemment, le RN remet en cause l’État de droit et attaque les juges. Je n’ai rien contre ce magistrat personnellement mais cela me met un peu mal à l’aise, alors même que le contentieux des étrangers est au cœur du travail des juridictions administratives.
JSS : Ce magistrat cite l’exemple de Philippe Brun, ancien juge administratif désormais député socialiste. Son cas est-il différent ?
T. G. : Je ne connais pas le parcours de Philippe Brun mais il ne me semble pas que le parti socialiste ait fait de la lutte contre l’immigration un thème primordial de son programme. Il est vrai que cela me choque moins, comme s’il s’agissait, d’ailleurs, d’un élu des partis du bloc de centre-droit qui gouverne aujourd’hui. La particularité du Front national puis du RN est de s’être construit sur ces questions-là.
L’expansion des formations en juge unique qui ne nous semble pas appropriée pour rendre les meilleures décisions.
Thomas Giraud, président du syndicat Jaci
JSS : Le droit des étrangers représente aujourd’hui près de la moitié des dossiers des tribunaux administratifs. Comment gérer cet engorgement ?
T. G. : Ce contentieux a toujours été massif mais depuis les passages au ministère de l’Intérieur de Gérald Darmanin, puis surtout de Bruno Retailleau, le nombre de dossiers a explosé. Les différentes circulaires prises conduisent l’administration à multiplier les refus de titres et les procédures d’éloignement. Ceux-ci sont contestés et en découle un engorgement des tribunaux.
Le problème est qu’il nous est demandé d’expédier ces dossiers. Une audience permet de traiter en moyenne huit dossiers mais ceux en matière de droit des étrangers ne comptent que pour un demi. Il faut donc passer deux fois plus vite dessus. Pour le justifier, on avance l’idée qu’il s’agit de cas simples et répétitifs mais c’est faux. Chaque dossier est complexe, d’autant plus que les avocats spécialisés dans cette matière sont particulièrement compétents, très au fait des textes, des jurisprudences, des positions de la Cour européenne des Droits de l’Homme (CEDH) ou de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE).
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Ce contentieux est tout sauf simple et nous n’avons pas les moyens humains pour le gérer. Les délais ne font qu’augmenter et il devient impossible de traiter dans un temps raisonnable sans augmentation de postes.
JSS : Est-ce le cœur des difficultés de la juridiction administrative et de l’engagement de Jaci ?
T. G. : Je ne dirais pas cela pour autant. Ce sujet est symptomatique parce qu’on a l’impression que tout va mal en France à cause des étrangers et que cette idée semble très vendeuse pour certains partis. Mais c’est un problème parmi d’autres. De manière générale, les enjeux autour de ce contentieux mettent en lumière les difficultés à gérer les droits des plus démunis, comme le contentieux de l’aide sociale.
Jaci s’exprime souvent sur le sujet du droit des étrangers mais ce n’est toutefois pas notre unique préoccupation, au contraire. Je peux par exemple parler de l’expansion des formations en juge unique qui ne nous semble pas appropriée pour rendre les meilleures décisions. La collégialité consolide notre travail et permet, justement, de pondérer les biais et opinions éventuelles de chacun. Nous interpellons aussi plus largement sur les menaces à l’État de droit et nous travaillons sur de nombreux sujets, comme la charge de travail des magistrats ou la question de l’enfermement.
JSS : Quelles sont vos perspectives après un an d’existence ?
T. G. : Pour l’instant, Jaci n’a pas pris part aux élections professionnelles et n’a qu’une année. Il n’est donc pas un syndicat dit représentatif. Cela nous limite dans les échanges institutionnels et, surtout, ne nous permet pas de bénéficier d’une décharge syndicale ce qui limite le temps que nous pouvons accorder à l’organisation. Nous essayons néanmoins de continuer notre développement et cherchons à exister dans les prochaines élections pour mieux faire entendre nos positions.
| Juges administratifs : une profession très syndiquée Discrète et méconnue du grand public, la juridiction administrative s’appuie sur deux formations professionnelles historiques : le Syndicat de la juridiction administrative (SJA), majoritaire, et l’Union syndicale des magistrats administratifs (Usma). Ces organisations se partagent la représentation d’une profession très syndiquée. Plus de la moitié du corps est encartée – le SJA revendiquant 400 adhérents – et les dernières élections professionnelles, en 2023, ont affiché une participation de 75%. |
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