Article précédent

CHRONIQUE. Un homme de 29 ans est jugé pour menace de commettre un crime sur un policier. Il réfute. Les circonstances sont troubles, le policier n’est ni présent ni représenté. Le parquet est lyrique et le tribunal, sceptique.

Le prévenu n’est pas encore arrivé, le silence s’installe. La présidente décide de rompre le silence mais un grincement de porte l’interrompt. Makha, encadré par trois policiers, prend place dans le box. La présidente dit : « Vous pouvez vous asseoir. Non, pas vous ! »
Les fonctionnaires s’assoient et Makha se relève : « Voulez vous être jugé aujourd’hui, ou plus tard ? Si c’est plus tard, il faudra décider si on vous place sous contrôle judiciaire (CJ) ou en détention provisoire.
–Je préfère un CJ.
–La question c’est « tout de suite » ou « plus tard ».
–Tout de suite !
–C’est bien ce que je pensais », lance-t-elle, avec un sourire narquois.
Le 4 novembre dernier, les policiers contrôlent un groupe de jeunes devant un tabac de Garges-lès-Gonesse. Makha sort à ce moment du commerce et se met à discuter avec un policier, puis avec un autre, soulignant qu’il aime beaucoup « la BMW série 1 blanche trois portes » du fonctionnaire, l’appelant « chef » et, enfin, lui lançant : « Surveille bien tes rétros, tu es traqué ».
Le policier rentre au commissariat, réfléchit, puis en parle à ses supérieurs. Selon eux, les propos de Makha constituent un délit de « menace de commettre un crime ». Il décide alors de retourner chercher le jeune homme, l’interpelle en pleine rue, le ramène au commissariat où il est placé en garde à vue. La juge demande : « Alors, il s’est passé quoi ? »
Makha explique qu’il discutait avec ce policier qui lui avait coupé la route un peu plus tôt, au volant de sa « BMW série 1 blanche trois portes » alors qu’il roulait à moto avec un copain. Voilà pourquoi il lui avait dit « surveille tes rétros ». Il réfute avoir dit « t’es traqué ».
– « Pourquoi ne pas l’avoir dit dans votre audition ?
–Je l’ai dit ! Mais ils ne l’ont pas écrit. »
Puis, il se lance dans le récit de plusieurs anecdotes afin d’expliquer que ces policiers avaient l’habitude de le contrôler sans raison, n’importe quand, ce qui constituait une forme de persécution, et sous-entendant que cette plainte en constituait une nouvelle manifestation. La présidente le laisse s’exprimer, Makha s’épuise en vaines paroles, la juge ne réagit pas. Il se tait enfin. Elle passe à l’examen de sa personnalité.
15 000 euros d’amendes cumulées (on n’aura pas le détail, peut-être est-ce même 20 000, Makha a perdu le compte) et une histoire de dépendance à l’alcool qui expliquerait ce tremblement très visible, mais il y a autre chose, « mon père aussi tremble comme ça », et il ne boit pas. On n’en saura pas plus.
En revanche, du casier judiciaire, on connaitra le moindre détail.
– « Il y a combien de mention sur votre casier ? Histoire de voir si vous tenez votre comptabilité », rigole la présidente.
– 16 on m’a dit, je crois, mais j’ai purgé mes peines !
– Mais l’historique est là ! »
Elle liste, vite : « Je balaye, hein, sinon demain nous y sommes encore ! Vous voulez la cerise sur le gâteau ? L’avis du juge d’application des peines. Vous allez pas être déçu ! »
La JAP, échauffée par l’insolence du prévenu qui aurait refusé d’ôter sa casquette en entrant dans son bureau (ça occupera aussi pas mal le procureur), demande la révocation intégrale du sursis probatoire de Makha, avec ordre d’incarcération immédiate, au cas où il serait condamné. Makha proteste : cette juge lui manque de respect. Avant, il y en avait une autre, respectueuse, avec qui tout se passait très bien. Pour le procureur, Makha a tout simplement un problème avec l’autorité.
Le magistrat se lance dans un pensum : « C’est toujours la faute des autres avec vous ! Arrêtez de faire ce que vous faites et les policiers vous laisseront tranquilles ».
Et de poursuivre : « Je ne me fâche pas Monsieur, j’essaie de vous aider, parce que vous allez être sanctionné, je pense. Vous comprenez ? Vous voyez, vous comprenez, même pas besoin de vous donner un ordre. » Et c’est l’heure d’un réquisitoire inspiré.
Le procureur affirme : « Les policiers ne sont pas là pour embêter les gens juste pour le plaisir. Si on commence à remettre en doute ce qu’ils disent, on vit dans une jungle. » Polémique : « Contrairement à ce que disent certains politiciens mal intentionnés, qui disent que la police tue, non, en France la police ne tue pas ! »
Tempère : « il peut y avoir des cas rares, exceptionnels, ou la police dérape un peu, peut-être beaucoup, c’est pas le cas ici ! » ; Assène : « La France ne sera pas une jungle ! » Estime que « les propos qu’il tient sont empreints d’un minimum de compassion ». Au prévenu, enfin : « Peut-être qu’entre vous, entre ceux qui ne respectent rien, c’est une jungle. Nous ce qu’on veut dans ce pays, c’est l’ordre ! »
Après ce discours enflammé, il procède à une démonstration implacable. Il estime que ce qui est important, ce n’est pas ce qui a été dit par le mis en cause, mais ce qui a été entendu par la partie civile. Il estime ensuite qu’il n’y a « pas de raison de remettre en cause la parole des policiers. On ne dit pas ça à un policier. Monsieur l’a dit. Et c’est une menace. » Coupable. Il demande 6 mois de prison avec sursis probatoire mais pas de révocation du sursis, comme demandé par la JAP, parce qu’en fin de compte, ce n’est pas si grave comme infraction.
La défense demande la relaxe au bénéfice du doute, et l’obtient. « Que le policier rentre au commissariat et décide de vous interpeller plus tard a laissé le tribunal sceptique. » Makha est tout content. « Et arrêtez de rigoler avec les policiers, je crois qu’ils aiment pas, ils ont pas d’humour ces gens-là ! » L’audience est levée.
THÉMATIQUES ASSOCIÉES
Infos locales, analyses et enquêtes : restez informé(e) sans limite.
Recevez gratuitement un concentré d’actualité chaque semaine.
0 Commentaire
Laisser un commentaire
Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *