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Parfaitement ficelé, l’itinéraire d’un juré s’organise autour d’une succession d’étapes et n’est pas exempt d’évolutions au fil des années. Récit d’un rendez-vous avec le système judiciaire, à travers le témoignage – en pointillé – de Cécile, infirmière de 39 ans dans le Sud-ouest et Fabien, responsable logistique de 44 ans en Ile-de-France, tous deux jurés d’assises cette année.
Il suffit d’une carte d’électeur pour que le hasard vous désigne… Chaque citoyen ordinaire peut être appelé, dans sa vie, à exercer la fonction de juré à la cour d’assises. Ce devoir – impossible d’y échapper sous peine de recevoir une amende de 3 750 € – peut s’appliquer à tout individu de plus de 23 ans inscrit sur les listes électorales françaises. Fruit d’une sélection laborieuse, cette participation à l’œuvre de justice n’est pas rémunérée.
Quelques rappels tout d’abord. Comme son nom ne l’indique peut-être pas, le juré d’assises est convoqué pour occuper la fonction de juge, aux côtés de magistrats professionnels, pour décider du sort d’une femme ou d’un homme, accusé de crime. L’infraction la plus grave selon la loi, telle que l’homicide, le viol ou encore le vol à main armée.
A noter que depuis la généralisation des cours criminelles départementales (CCD) compétentes pour juger les personnes majeures encourant 15 à 20 ans de réclusion et dépourvues de jury populaire, les jurés d’assises jugent uniquement les cas les plus graves (plus de 20 ans d’emprisonnement), à l’exception des dossiers de terrorisme et de stupéfiants en bande organisée.
On attend d’eux qu’ils statuent sur l’aspect pénal d’une affaire, en se prononçant sur la culpabilité (ou non) de l’accusé et en soumettant une sanction relative aux actes dont il est responsable.
La procédure de désignation des jurés repose sur des tirages au sort. Ce processus, régi par la loi, est mis en œuvre pour déterminer 35 titulaires (ou 45 dans certaines cours d’assises) et 10 (ou 15) suppléants, sachant que chaque étape pour les désigner « écrème » progressivement les potentiels élus. Le mécanisme incite donc parfois les concernés à « ne pas s’inquiéter » ou au contraire, à fortement croiser les doigts : ils auront en réalité peu de chances d’être convoqués pour le jury final.
Dans un premier temps, une liste préparatoire est établie dans chaque commune par un tirage au sort effectué sur les listes électorales, sous l’autorité du maire. Chaque citoyen y figurant reçoit alors un courrier postal de sa mairie pour en être informé. Le document précise aussi qu’ils peuvent faire une demande de dispense, en invoquant un motif bien précis (maladie grave, impératifs médicaux, individu de plus de 70 ans…).
Une liste annuelle des jurés est ensuite établie dans le ressort de la cour d’assises, selon un deuxième tirage au sort : elle est communiquée, encore une fois, aux personnes retenues. Environ un mois avant le début de la session d’assises (qui dure en moyenne quinze jours), les jurés titulaires et suppléants sont désignés lors d’un troisième tirage au sort, sous la conduite du premier président de la cour d’appel ou du président de grande instance au sein duquel siège la cour d’assises.
« Malgré la pression, j’avais vraiment envie de faire partie de cette expérience. Quand mon numéro est tiré, je crains d’être récusé. Je me lève en essayant de ne pas regarder les avocats et de fixer mes pieds »
Fabien, juré d’assises
A cette étape, les potentiels jurés (toujours tenus au courant par voie postale, au moins 15 jours avant le début de la session) n’ont jamais été si proches du but : leur sort sera néanmoins scellé le jour du début du procès, au cours d’un quatrième et dernier tirage au sort, mené directement à la cour d’assises. Si la personne n’est pas désignée le jour même, elle repart chez elle, sachant qu’elle pourra néanmoins être juré à l’occasion d’autres procès de la session d’assises. Pour résumer : elle doit demeurer à la disposition de la cour durant quinze jours, sachant qu’une indemnité compensatrice est prévue pour sa perte temporaire de revenus.
Sur place, le juré qui a été appelé par son numéro au milieu d’une cinquantaine d’individus convoqués peut par ailleurs être « récusé » par l’avocat général ou celui de la défense, pour des motifs qui ne sont pas exposés. Ce dernier dispose de quelques informations sur les personnes qui composent le jury, dont leur nom, leur date de naissance et leur profession. Elles lui permettent de récuser ou de s’appuyer sur leurs caractéristiques pour « affiner » son futur plaidoyer.
Cette dernière étape, cruciale, est souvent à l’origine d’un fort moment de suspense dont se souvient Fabien : « Malgré la pression, j’avais vraiment envie de faire partie de cette expérience. Quand mon numéro est tiré, je crains d’être récusé. Je me lève en essayant de ne pas regarder les avocats et de fixer mes pieds. Au bout de quelques pas : rien. Je me suis assis dans cette salle absolument silencieuse, alors que dans ma tête, j’entendais des applaudissements ! ».
Parce qu’elle expose l’individu à des situations violentes ou choquantes, la fonction de jurés nécessite, si elle est mise en place au sein d’un ressort, une préparation qui peut s’avérer utile. Cet aspect est plus ou moins développé, selon les moyens budgétaires et les orientations de la cour d’assises.
Première possibilité, les jurés potentiels, ceux retenus sur l’avant-dernière liste de session, sont convoqués la veille, pour une demi-journée de formation. Ce temps est consacré au rappel des enjeux d’un procès d’assises et de la responsabilité d’un juré, et donne quelques détails sur la session à venir. « A ce moment-là, nous apprenons que nous sommes convoqués pour deux affaires. Je me rends compte que je vais peut-être juger une tentative de meurtre et un féminicide », se souvient Fabien.
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Cette préparation, qui n’est pas inscrite dans la loi, permet au juré de profiter d’une première approche de l’exercice à venir. En parallèle, le visionnage de vidéos à objectifs pédagogiques édités par le ministère de la Justice peut également être planifié, le matin même du premier jour de session. Cécile s’en rappelle : « Le film nous renseignait sur l’importance du jury populaire. Il nous donnait également des indications sur les peines encourues. A ce moment-là, on prend pleinement conscience des responsabilités qui nous incombent ».
Plus frontale, une visite en prison peut également être prévue quelques jours avant l’ouverture de la session. L’occasion de se familiariser avec le milieu pénitentiaire et de se rendre compte des conséquences concrètes d’une incarcération.
Le procès s’ouvre immédiatement après la désignation des jurés : six lorsque la cour statue en premier ressort, neuf lorsqu’elle statue en appel, et leurs suppléants qui assistent aux débats et prendront la relève si un titulaire est empêché de siéger pour raison de santé.
Ces derniers sont placés autour du président de la cour et de ses assesseurs. Le sujet est directement introduit par un rapport d’instruction : le président présente de façon concise et à l’oral les faits reprochés à l’accusé et les raisons de la décision de renvoi aux assises. Des stylos et des feuilles sont mis à disposition des jurés, sans obligation de prise de notes, les informations émises au cours du procès étant extrêmement nombreuses : « Je notais tout et m’obligeais à tout comprendre. Qui étaient précisément les interlocuteurs qui me faisaient face ? Pour ma part, la lecture de l’instruction a duré près d’1h30 », se rappelle Cécile. Pleinement engagés dans le procès et soumis à l’intensité intellectuelle qu’il demande, les jurés profitent parfois de moments de « respiration », qui leur permettent notamment de débriefer avec le président.
« Je notais tout et m’obligeais à tout comprendre. Qui étaient précisément les interlocuteurs qui me faisaient face ? Pour ma part, la lecture de l’instruction a duré près d’1h30 »
Cécile, jurée d’assises
On remet ensuite à l’ensemble du jury populaire un document traçant le déroulé du procès, dont l’étendue peut impressionner : audition des enquêteurs, suivie de celle des experts, des témoins et de la victime, interrogatoire de l’accusé, plaidoirie de la partie civile, réquisitoire du ministère public et pour clore enfin le cycle, plaidoyer de la défense. Laquelle a le droit d’intervenir tout au long du débat, pour contester des éléments de preuve ou critiquer les rapports d’expertise.
Chaque expert fait état de son travail souvent technique et dont les membres du jury doivent apprendre à « décoder » les spécificités. L’expertise psychologique de l’accusé a particulièrement marqué Cécile : « L’expert psychologue était nul. Son rapport était confus et son langage inaccessible. Ses faiblesses se sont vite fait ressentir, les avocats l’ont d’ailleurs fait remarquer. Nous avions l’impression que son propos était à charge et qu’il avait déjà décidé du coupable ».
L’anecdote n’est pas sans rappeler que pour l’ensemble de la procédure, le principe d’oralité s’impose aux débats. Elle seule doit fonder « l’intime conviction » des jurés. Le président d’assises dispose, pour sa part, de l’entièreté des pièces de la procédure et du dossier.
L’article 311 du code de procédure pénale prévoit que « les jurés peuvent poser des questions aux accusés et aux témoins en demandant la parole au président. Ils ont le devoir de ne pas manifester leur opinion ». Une dernière obligation qui peut s’avérer compliquée à respecter, dans le cas de témoignages délicats ou face à la simple accumulation d’émotions et de fatigue.
Les pièces à conviction peuvent également être présentées aux jurés, si la défense en fait la demande expresse. Les photos et vidéos en lien avec l’affaire leur sont diffusées, ainsi qu’à l’ensemble de la salle d’audience, prévenue en amont par le président. Ils n’ont pas d’obligation de les regarder. Cécile se souvient : « On était préparés, mais je le redoutais. Les photos étaient très dures. Je me suis dit, d’accord, tu regardes parce qu’on va t’en parler et que cela fait partie de l’affaire. Mais j’ai détourné les yeux très rapidement ». Fabien se remémore aussi ce souvenir douloureux : « Les photos de la victime retrouvée morte sont projetées devant une cinquantaine de personnes. On était tous en train de la regarder. C’est un peu malsain, mais j’ai jeté un coup d’œil à la famille, pour voir sa réaction ».
En parallèle, il est demandé aux jurés de faire preuve d’un « devoir d’attention » lors de débats, qui, s’il n’est pas respecté, peut provoquer son remplacement. Il répond par ailleurs à une obligation d’impartialité, nourrie par la présomption d’innocence. Malgré la tentation, et en dépit de l’intensité de l’expérience, le juré s’engage à ne parler de l’affaire en cours qu’avec les autres membres du jury et les magistrats de la cour.
A ce titre, la pause-déjeuner à laquelle il a droit chaque jour de procès lui donne la possibilité de partager son ressenti avec les autres jurés, entre lesquels un lien peut se tisser rapidement. Il lui est également interdit de se rendre sur les lieux du crime.
Le dernier jour du procès est consacré au délibéré, qui, en fonction des spécificités de l’affaire, dure plus ou moins longtemps. Cantonnés dans une salle dédiée, les jurés n’ont le droit d’en sortir qu’après avoir pris leurs décisions. Le président introduit cette étape par un rappel de la loi et des peines encourues par l’accusé.
« Dès qu’on est arrivé dans la salle de délibération, le président nous a dit : vous allez quitter le tribunal populaire pour rejoindre celui de la justice. Il nous a expliqué que si le procès avait duré longtemps, c’était pour une bonne raison. Entre autres pour que notre intime conviction se forge au fur et à mesure des discussions menées », expose Fabien.
Après des échanges qui peuvent parfois durer une journée entière, la cour et le jury délibèrent, puis votent, par bulletins écrits marqués du timbre de la cour d’assises et par scrutins distincts et successifs sur la culpabilité de l’accusé (« oui » ou « non ») et sur son éventuelle peine. Le procédé est répété en fonction du nombre de prévenus.
« Ce moment a été très compliqué pour moi. J’avais le sort de plusieurs jeunes entre les mains. Leur âge rendait la décision encore plus complexe »
Cécile, jurée d’assises
Ce moment, particulièrement solennel, est vécu différemment, selon les sensibilités. Soit comme le résultat « logique » d’une mission remplie jusqu’à sa finalité – c’est le cas de Fabien – ou au contraire, comme une responsabilité particulièrement difficile à assumer. C’est ainsi que Cécile l’a éprouvé : « Ce moment a été très compliqué pour moi. J’avais le sort de plusieurs jeunes entre les mains. Leur âge rendait la décision encore plus complexe. Et en même temps, ils avaient ôté la vie à une personne qui n’avait rien demandé. Tous ces éléments se heurtaient dans ma tête ».
Les bulletins sont remis au président qui les dépose dans une urne prévue à cet effet. Il les dépouille et constate immédiatement le résultat. En cas de contradiction entre deux ou plusieurs réponses, le président peut faire procéder à un nouveau vote.
Soumis au secret « général et absolu », les membres du jury qui ont voté « sur leur honneur et en leur conscience » ne sont pas autorisés à évoquer le délibéré, même une fois le procès terminé, sous peine d’être poursuivis. Ils encourent dans ce cas une peine d’un an d’emprisonnement et 15 000 € d’amende.
A l’issue du délibéré, le jury revient dans la salle d’audience accompagné du président, lequel énonce le verdict. Ils sont priés dans la foulée de se retirer et de retrouver leur vie « ordinaire ». Le vertige de l’expérience qu’ils viennent de vivre peut pourtant être source de mal-être ou de troubles. Pour éviter cette rupture trop nette avec leur confrontation au monde judiciaire, plusieurs cours d’assises ont mis en place des cellules d’aide et d’écoute.
A l’instar de celle de Bordeaux, qui propose à chacun de ses jurés la possibilité de participer à des débriefings psychologiques, à la suite du verdict, pour partager leur ressenti. Un dispositif à découvrir dans le prochain article de notre série.
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