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Droits bafoués, ruptures des parcours, exposition à la violence… 80 ans après l’ordonnance de 1945, la Défenseure des droits, Claire Hédon, insiste sur l’exigence d’une réponse judiciaire adaptée aux réalités du terrain et centrée sur l’éducatif, pour « ne pas priver les enfants d’avenir ».

En novembre, le rapport annuel de la Défenseure des droits, consacré cette année au droit des enfants à une justice adaptée, était publié et présenté par Claire Hédon et son adjoint, le Défenseur des enfants, Eric Delemar. Un rapport d’abord pensé pour « rappeler un principe fondateur : un enfant n’est pas un adulte ». « Sa maturité, sa compréhension du monde et son discernement exigent une réponse judiciaire adaptée qui sanctionne mais qui en parallèle éduque, protège et prévient la récidive – une justice qui accompagne l’enfant dans sa reconstruction », rappelle la Défenseure des droits.
Ce rapport est aussi présenté comme une réponse aux débats qui agitent la question de la délinquance des mineurs. Claire Hédon constate ainsi que « le principe de relèvement éducatif et moral », prévu par l’ordonnance de 1945 – « un texte fondateur » -, est « aujourd’hui fragilisé ». Il y a 80 ans, à la sortie de la Seconde guerre mondiale, la France posait les fondements d’une justice spécifique pour les mineurs : la primauté de l’éducatif sur le répressif, l’atténuation de la responsabilité selon l’âge et l’existence de juridictions spécialisées. Fondements retrouvés aujourd’hui dans le Code de la justice pénale des mineurs (CJPM) en 2021, et protégés par la Convention internationale des droits de l’enfant, qui consacrent un droit fondamental : celui, pour chaque enfant, de bénéficier d’une justice adaptée, protectrice et éducative.
Mais en 2025, la Défenseure des droits et le Défenseur des droits des enfants dressent plusieurs constats sans appel et font le portrait d’une réalité bien éloignée de ces principes : d’abord, et l’actualité le rappelle souvent, les services chargés d’accompagner les mineurs « souffrent d’un manque criant de moyens humains et matériels ». Lui-même ancien éducateur, Eric Delemar regrette une « pénurie d’éducateurs PJJ, de travailleurs sociaux, qui s’accompagne d’une grande précarisation en général des métiers de l’humain et également de l’accès au soin. »
Faute d’éducateurs spécialisés, certaines mesures provisoires, prévues entre deux audiences judiciaires, ne sont par exemple pas ou mal appliquées. Les conditions de vie en détention et l’absence d’un véritable cadre éducatif « compromettent toute réinsertion durable » : heures d’enseignement limitées voire parfois manquantes, activités socio-culturelles et sportives réduites ou inexistantes, respect du droit au maintien des liens familiaux fragilisé… Ces constats sont corroborés par les témoignages des mineurs eux-mêmes. Pour établir le rapport, les équipes de la Défenseure des droits ont consulté les premiers concernés, en Métropole comme dans les Outre-mer. « En prison, est relevé un certain désœuvrement, un manque de lien social qui est contre-productif, poursuit Eric Delemar. Le besoin d’activités sportives se fait ressentir. »
Il devient donc plus que nécessaire, selon la Défenseure des droits, de « placer l’enfant au cœur d’un dispositif judiciaire cohérent et adapté ». Claire Hédon appelle aussi à la création d’un Code de l’enfance, « pour harmoniser les textes ».
Elle souligne aussi que les enfants – comme leurs parents – ont du mal à comprendre la loi, ne s’estiment pas assez informés, et elle déplore, chez les institutions « un défaut de prise en compte de leur parole ». « Il faut permettre que les enfants comprennent mieux » la justice et leurs parcours judiciaires, estime-t-elle, car les sanctions ne sont efficaces « qu’en s’inscrivant dans un accompagnement global et continu, permettant à l’enfant de comprendre la loi, de réparer le délit commis et de se reconstruire ensuite en s’ancrant dans la société ». La justice des enfants est par ailleurs mal comprise par la société de manière générale, qui manque de clés de compréhension et qui a de plus en plus tendance à préférer la réponse répressive. « Ce rapport a également pour objectif d’apaiser le débat, insiste Claire Hédon.
Elle souhaite rappeler en plus que les chiffres contredisent les discours dépeignant parfois une jeunesse de plus en plus violente. Le rapport pointe ainsi « une baisse globale des mineurs mis en cause », bien que ces mineurs soient effectivement « de plus en plus jeunes ». Et si « sanctionner le passage à l’acte d’un enfant est évidemment nécessaire, la sanction doit être éducative et permettre la réinsertion. » Les jeunes interrogés eux-mêmes « ne séparent pas la sanction pénale de la réparation, et insistent sur une justice claire, accessible et pédagogique », précise Claire Hédon.
« Aucun enfant n’est prédestiné à la délinquance » : le rapport réaffirme avec force ce qui a déjà été démontré par de nombreuses études de sciences sociales. Mais, détaille la Défenseure des droits dans son rapport, « les instabilités liées aux cadres de vie de certains enfants peuvent (…) accroître leur risque de rupture, d’isolement et de comportements transgressifs ». La parole des enfants recueillie lors de l’élaboration du rapport confirme ce postulat : « Beaucoup ont intériorisé que frapper était un droit des adultes. La violence des enfants découle de la violence des adultes », abonde Claire Hédon. Ce que nous ont dit les enfants rejoint souvent la parole des scientifiques et des professionnels du droit et des sciences humaines. »
Le rapport souligne par ailleurs que plus de la moitié des mineurs délinquants (55 %) sont suivis par la protection de l’enfance et 72 % ont connu une déscolarisation prolongée. A ce propos, indique Claire Hédon, « parler de « décrochage » est erroné, dans la mesure où ces jeunes n’ont jamais été « accrochés » ».
Ces chiffres rappellent donc que la délinquance des mineurs est avant tout le reflet de vulnérabilités accumulées et de situations à risque, listées par la Défenseure des droits : pauvreté, ruptures familiales, échec scolaire, troubles psychologiques, exposition à la violence… sans oublier la difficulté des institutions à en protéger les enfants.
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La Défenseure des droits appelle ainsi à « renforcer la prévention spécialisée », à « soutenir les familles » et à « garantir la continuité éducative entre l’aide sociale à l’enfance et la justice pénale », afin d’éviter les ruptures de parcours.
A partir des réclamations qu’elle a reçues, la Défenseure des droits met en lumière des atteintes aux droits des mineurs aux différents stades de la procédure pénale – du premier contact avec les forces de l’ordre jusqu’à l’incarcération.
Contrôles d’identité répétés, verbalisations multiples, interpellations avec un usage de la force parfois disproportionné, auditions menées sans accompagnement d’un adulte ou d’un avocat, ou encore des conditions de garde à vue et de détention qui portent atteinte à la dignité des mineurs… La Défenseure des droits relève une absence de prise en compte de la particulière vulnérabilité liée à la minorité. Si les mineurs « bénéficient, dans les textes de lois, de garanties spécifiques, celles-ci sont encore trop méconnues et insuffisamment respectées », dénonce le rapport. Par ailleurs, le cloisonnement des politiques publiques empêche des suivis de qualité et entraînent des ruptures dans les parcours. « Un jeune qui vient de la PJJ ne pourra pas bénéficier de contrat jeune majeur, illustre Eric Delemar. « L’Etat et les départements se renvoient les enfants comme des parents divorcés ».
Autant de constats qui justifient « une justice spécifique des mineurs, pour une justice humaine pour tous », demande aujourd’hui la Défenseure des droits. D’autant plus que les jeunes générations, nées avec les réseaux sociaux, rencontrent des problématiques très spécifiques, notamment une « exposition banalisée à la violence ». Et pour les ados en construction, la délinquance et la prise de risque naissent aussi du besoin « de se prouver leur valeur ». « Les jeunes disent qu’ils deviennent agresseurs pour ne pas devenir des victimes », raconte Claire Hédon. Ils valorisent aussi l’appât du gain et la loi du Talion. »
| La Défenseure des droits liste 25 recommandations pour mieux garantir le droit des enfants à une justice adaptée – Inscrire dans la loi le principe de non-responsabilité pénale absolue pour les moins de 13 ans ; – Créer un Code de l’enfance, réunissant les dispositions civiles et pénales relatives aux mineurs ; – Renforcer les actions d’information et de sensibilisation des enfants au droit et à la justice ; – Garantir la continuité socio-éducative entre l’aide sociale à l’enfance (ASE) et la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) ; – Renforcer les moyens alloués à la prévention du décrochage scolaire ; – Renforcer le dépistage des troubles du comportement ou des pathologies psychiatriques et améliorer l’accompagnement médical et thérapeutique des jeunes auteurs d’infractions souffrant de troubles de santé mentale et de handicap. |
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