Droit

L'accumulation de dettes n'impose pas nécessairement la sanction du dirigeant


samedi 19 juillet7 min
Écouter l'article

Notre série "Restructuring"

Bastien Brignon, Adeline Cerati et Vincent Perruchot-Triboulet, maîtres de conférences à la Faculté de droit d’Aix-en-Provence, Université d’Aix-Marseille (CDE EA 4224), proposent aux lecteurs du JSS une série d'articles autour de la jurisprudence marquante en matière de restructuring.
  • L'accumulation de dettes n'impose pas nécessairement la sanction du dirigeant
  • 19/07/2025 11:00:00 1 8 6618 13 0 8088 5854 6052 L'oubli de mentionner un créancier ne constitue pas une faute détachable des fonctions du dirigeant

    SÉRIE « RESTRUCTURING » (11). Un dirigeant de société en procédure de sauvegarde ne commet pas une faute séparable de ses fonctions en ne mentionnant pas une créance contestable.

    Cass. com. 2 avril 2025, n° 23-22.728

    Un dirigeant de SAS qui fait l’objet d’une procédure de sauvegarde judiciaire engage-t-il sa responsabilité personnelle s’il ne mentionne pas une créance dans la liste remise aux organes de la procédure ? C’est à cette question que l’arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation du 2 avril 2025 a apporté une réponse négative de nature à rassurer les dirigeants qui peuvent ainsi mesurer à quel point leur responsabilité civile personnelle est difficile à mettre en œuvre par les tiers.

    En l’espèce, une société Creacard était créancière d’une somme de 213 444, 50 euros contre la SAS Suncard Group qui avait fait l’objet d’une procédure de sauvegarde rapidement clôturée pour disparition des difficultés. Soutenant avoir ignoré l’ouverture de la procédure de sauvegarde, la société créancière sollicita en vain un relevé de forclusion pour lui permettre de déclarer sa créance. Déboutée de sa demande, la société créancière trouva un autre argument et assigna en responsabilité le dirigeant de la société débitrice. Elle invoqua l’existence d’une faute personnelle détachable des fonctions du dirigeant de la société Suncard Group en ce qu’il n’avait pas mentionné la société Creacard dans la liste des créanciers remise aux organes de la procédure de sauvegarde en application de l’article L. 622-6 alinéa 2 du Code de commerce. La Cour d’appel de Basse-Terre le 25 septembre 2023 puis la Cour de cassation (Cass. com. 2 avril 2025, n° 23-22.728) repoussent la prétention de la demanderesse et refusent de retenir la responsabilité du dirigeant.

    Aux termes de l’article L. 225-251 du Code de commerce, les administrateurs et le directeur général sont responsables individuellement ou solidairement selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés anonymes, soit des violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion. Une jurisprudence constante vient éclairer cette disposition et fixer ce qu’il est convenu d’appeler la théorie de la faute détachable des fonctions (Cass. com. 20 mai 2003, n° 99-17.092, D. 2003, p. 2623, note B. Dondero, Rev. sociétés 2003, p. 479, note J.-F. Barbièri, RTD civ. 2003. 509, obs. P. Jourdain). 

    Elle est reprise dans l’arrêt pour fonder la solution. La Cour de cassation rappelle ainsi « qu’il résulte de l'article L. 225-251 du Code de commerce que la responsabilité personnelle d'un dirigeant à l'égard des tiers ne peut être retenue que s'il a commis une faute détachable de ses fonctions et qu'il en est ainsi lorsque le dirigeant commet intentionnellement une faute d'une particulière gravité, incompatible avec l'exercice normal des fonctions sociales ».

    En l’espèce, la chambre commerciale approuve les juges du fond d’avoir considéré que le dirigeant de la SAS débitrice n’avait pas commis de faute détachable de ses fonctions. Elle relève que si la société Creacard était bien créancière de la société Suncard Group, l'examen des factures et des récapitulatifs de commande qu'elle produisait montrait que ces pièces avaient été établies au nom de la société Suncard France, juridiquement distincte de la société Suncard Group, et qu'il n'était ainsi pas évident, à première lecture, que la société Suncard Group soit redevable des sommes réclamées par la société Creacard. 

    L'arrêt ajoute que le fait, pour le dirigeant, de ne pas avoir mentionné sur la liste des créanciers une créance en apparence contestable ne permet pas de caractériser à son encontre une mauvaise foi ou une intention dolosive vis-à-vis de la société Creacard, et qu'il n'est pas établi qu'il aurait eu un intérêt personnel à ne pas révéler cette créance aux mandataires judiciaires.

    L’arrêt n’est pas destiné à la publication, mais sa solution est intéressante.

    Quelques observations explicatives 

    En premier lieu il convient de noter que la décision renvoie au courant jurisprudentiel favorable au dirigeant dont la responsabilité ne peut être engagée que pour une faute détachable de ses fonctions strictement entendue. Il se crée ainsi une sorte d’immunité de principe du dirigeant pour ce qui a trait au fonctionnement social avec l’idée que le préjudice généré par l’activité sociale doit principalement peser sur la personne morale et pas sur le patrimoine personnel de celui qui a reçu le pouvoir de la diriger. Il n’y a donc pas de faute détachable des fonctions à simplement « oublier » un créancier. La faute n’est pas d’une « particulière gravité » mais simplement vénielle. 

    Au demeurant, même si le parallèle n’est pas complètement pertinent, il serait curieux de considérer le débiteur comme fautif lorsqu’il ne mentionne pas le nom des créanciers dans la liste adressée au mandataire judiciaire dont le titre n’est même pas certain et de se montrer par ailleurs de plus en plus bienveillant avec le débiteur qui tarde à déposer son bilan (Art. L. 653-8 alinéa 3 C. com. ; F. Pérochon et alii, Entreprises en difficulté, LGDJ, 12e éd, 2024, n° 3257 et s. p. 1336).

    Cet arrêt revient également à s’interroger sur le caractère contestable de la créance. Les créances qui doivent être déclarées au passif de la procédure sont celles qui sont certaines dans leur existence et leur montant (rappr. art. L. 622-25 C. com.). Dans cette affaire, les juges du fond ont souligné que la créance était « en apparence contestable ». Si la créance n’était pas certaine, il ne peut pas y avoir d’obligation de déclarer la créance et donc pas de faute à ne pas déclarer. Si on suit cette ligne, il importe peu que le manquement soit détaché des fonctions du dirigeant ou pas car il n’y a pas de faute à ne pas mentionner au mandataire judiciaire une créance qui n’est pas certaine mais simplement douteuse et ne peut pas être légitimement produite au passif de la procédure. Au contraire, si la créance au fond se révèle certaine, la mention de l’apparence rend plus facilement excusable l’oubli du dirigeant qui pouvait légitimement croire inutile de faire état d’une créance non fondée en son principe.

    Enfin, l’arrêt sous commentaire est intéressant en ce qu’il vise l’intérêt personnel du dirigeant comme élément susceptible de nourrir une mise en cause. Les juges du fond soulignent en effet de façon classique, qu’il n’est pas possible de caractériser la mauvaise foi ou l’intention dolosive du dirigeant pour engager sa responsabilité personnelle puis rajoutent « qu’il n’est pas établi que le dirigeant aurait eu un intérêt personnel à ne pas révéler cette créance aux mandataires judiciaires ». 

    La faute détachable semble ainsi se nourrir de l’intérêt personnel. La faute intentionnelle n’est cependant pas l’intérêt personnel dans la commission du délit. Sans pouvoir faire un lien avec le concept de faute lucrative, si le dirigeant tire un profit personnel du dommage, il est sans doute opportun que ce ne soit pas la personne morale mais celui qui tire les ficelles et profite du délit qui en réponde. En droit de la responsabilité, l’intérêt personnel n’est pas un facteur aggravant et l’absence d’intérêt personnel une cause d’exonération. 

    Dans le monde médiatique et politique, il est souvent de bon ton pour les auteurs d’infractions pénales intentionnelles de relever qu’ils n’ont pas tiré directement ou indirectement un intérêt personnel du produit de l’infraction pour tenter de se disculper aux yeux de l’opinion publique. L’absence d’intérêt ou d’enrichissement personnel n’est cependant pas un fait justificatif et la maladresse des auteurs de délit qui, en plus de causer des dommages, ne trouvent pas l’occasion de s’enrichir avec l’infraction, pas une cause d’exonération. En réalité ce critère de l’intérêt personnel n’a pas lieu d’être comme critère distinct mais devrait simplement participer du faisceau d’indices qui permettent de caractériser la faute intentionnelle.

    Vincent Perruchot-Triboulet
    Professeur Aix Marseille Université
    Directeur du Master ALED Institut de droit des affaires

     

    Partager l'article


    0 Commentaire

    Laisser un commentaire

    Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

    Abonnez-vous à la Newsletter !

    Recevez gratuitement un concentré d’actualité chaque semaine.