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Bastien Brignon, Adeline Cerati et Vincent Perruchot-Triboulet, maîtres de conférences à la Faculté de droit d’Aix-en-Provence, Université d’Aix-Marseille (CDE EA 4224), proposent aux lecteurs du JSS une nouvelle série d'articles autour de la jurisprudence marquante en matière de restructuring.
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l’avance
subsidiaire de fonds par l’AGS ;
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l’éventualité
de faire appel à l’octroi d’un délai de paiement ;
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l’impact du surendettement particulier
d’un artisan débiteur.
Cass. 2e civ., 26 oct. 2023, n° 21-25.581, F-B : Dalloz actualité 20 novembre 2023, note A. Cerati ; Actu-Juridique.fr 22.12.23, note V. Legrand ; CCC 2024, comm. 17, note S. Bernheim-Desvaux
bien que l’artisan soit considéré par nature comme une profession civile (Cass. com., 11 mars 2008, n° 06-20.089 : JCP E 2008, 2050, note Ch. Lebel), il est assimilé, au moins en droit des procédures collectives, depuis 1985, au commerçant. Il en résulte que l’artisan, éligible au statut des baux commerciaux, comme le commerçant, dépose le bilan au tribunal de commerce, à l’instar également du commerçant. D’ailleurs, la loi n° 2016-1547 dite « Justice XXIe siècle » du 18 novembre 2016 a modifié, pour une entrée en vigueur au 1er janvier 2022, l’article L. 721-3 du Code de commerce, en étendant la compétence des tribunaux de commerce précisément aux artisans. Par conséquent, un artisan qui est en cessation des paiements doit faire l’objet d’un redressement ou d’une liquidation judiciaire devant le tribunal de commerce.
Pourtant, en l’espèce a été rendu l’important arrêt du 26 octobre 2023. Il s’agissait d’un débiteur qui exerçait, depuis le 1er septembre 1982 une activité de carreleur et plaquiste et qui bénéficiait des dispositions sur le surendettement des particuliers. L’activité relevait sans nul doute du secteur de l’artisanat défini comme l’exercice « à titre principal ou secondaire » d’« une activité professionnelle indépendante de production, de transformation, de réparation ou de prestation de services » (C. de l'artisanat, art. L. 111-1), par une personne physique ou morale qui emploie moins de onze salariés. Or cet artisan avait été déclaré recevable au bénéfice du traitement de la situation des surendettements par une commission de surendettement des particuliers, recevabilité qui lui avait ensuite été refusée par le tribunal judiciaire de Quimper au motif qu'il exerçait la profession d’artisan carreleur et plaquiste sous un numéro de SIRET. L’artisan s’est alors pourvu en cassation.
Le jugement d'irrecevabilité cassé en raison de l'option pour le statut d'EIRL
Dans un premier temps, la Cour de cassation rejette son argumentation, au terme d’un raisonnement impeccable. Ainsi, la Cour de cassation relève-t-elle « qu’en application de l'article L. 711-3 du Code de la consommation, les dispositions du livre VII de ce code, relatif au traitement des situations de surendettement, ne s'appliquent pas lorsque le débiteur relève des procédures instituées par le livre VI du code de commerce ». Et « selon l'article L. 631-2 du code de commerce, la procédure de redressement judiciaire est applicable à toute personne exerçant une activité commerciale, artisanale ou une activité agricole définie à l'article L. 311-1 du code rural et de la pêche maritime et à toute autre personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante, y compris une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé, ainsi qu'à toute personne morale de droit privé ». De plus, « Il résulte de l'article R. 662-3 du code de commerce que le tribunal de commerce a une compétence exclusive et d'ordre public pour connaître de la procédure collective applicable aux artisans ».
L'artisan relevant des procédures du livre VI du Code de commerce, il échappe aux procédures du Code de la consommation, et seul le tribunal de commerce peut connaître de sa situation. Le rejet du pourvoi était inévitable. Le tribunal judiciaire n'a donc pas excédé ses pouvoirs en relevant d'office que l'artisan ne relevait pas des dispositions du code de la consommation, fusse-t-il saisi à la seule fin de vérification d'une créance.
Il y a plus néanmoins. Certes, le débiteur exerce, depuis 1982 et encore à ce jour, la profession d'artisan carreleur et plaquiste, et est enregistré en tant que tel sous un numéro Siret, le rendant ainsi éligible des procédures collectives. Mais, il a aussi et surtout opté, depuis 2018, pour le statut d’EIRL, de telle sorte que le jugement d'irrecevabilité opposé par le tribunal des contentieux de la protection est finalement cassé par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, précisément en raison de cette option pour le statut d’EIRL.
La Cour de cassation vise ensuite l'article L. 711-7 du Code de la consommation, texte selon lequel « le débiteur, qui a procédé à une déclaration de constitution de patrimoine affecté conformément à l'article L. 526-7 du Code de commerce, est susceptible de bénéficier des mesures de traitement du surendettement des particuliers à raison d'une situation résultant uniquement de dettes non professionnelles ». Or, « pour retenir que les dispositions du code de la consommation relatives au surendettement des particuliers n'étaient pas applicables, le jugement retient que [le débiteur] est enregistré sous le statut d'entrepreneur individuel ». « En se déterminant ainsi, sans rechercher si son statut d'entrepreneur individuel était de nature à exclure [le débiteur] de la procédure de traitement des situations de surendettement des particuliers pour la totalité de ses dettes, le tribunal n'a pas donné de base légale à sa décision ». La cassation était inévitable.
L'artisan, qui avait opté pour le statut d’EIRL en 2018, prétendait pouvoir bénéficier des dispositions du code de la consommation au titre de son patrimoine non affecté en raison d'une situation de surendettement. Il avait à ce titre obtenu le soutien de la commission de surendettement l'ayant qualifié, à tort, de « dirigeant d'une EIRL » et « salarié en CDI », mais pas du juge qui s'était arrêté à sa seule qualité d'artisan. Sur le fondement de l'article L. 711-7 du Code de la consommation précité, la Cour de cassation a cassé le jugement d'irrecevabilité : le juge, en ne recherchant pas si le statut d'entrepreneur individuel était de nature à exclure l'artisan de la procédure de traitement des situations de surendettement des particuliers pour la totalité de ses dettes, n'a pas donné de base légale à sa décision.
L'arrêt du 26 octobre, une solution crucialement d'actualité
On en déduit qu’un débiteur en principe éligible aux procédures réservées aux entreprises peut cependant bénéficier des procédures offertes aux particuliers lorsque son patrimoine non affecté à l'activité de l'entreprise est en situation de surendettement. Pour le dire encore autrement : « Procédure de traitement des difficultés des entreprises ou des particuliers ? La réponse ne dépend plus seulement de la nature de l'activité exercée par le débiteur depuis que le législateur a renoncé au principe d'unité du patrimoine. Il faut désormais aussi distinguer selon la nature du « patrimoine en difficulté ». Si celui qui exerce une activité artisanale est en principe éligible aux procédures du Livre VI du code de commerce, encore faut-il que les difficultés éprouvées affectent son patrimoine professionnel pour entrer dans leur champ d'application. Il y échappera si elles ne touchent que son patrimoine non affecté à l'activité de l'entreprise » (A. Cerati, l'artisan est éligible aux procédures de surendettement : D. actualité, 20 nov. 2023).
Bien que la loi du 14 février 2022 ait mis en extinction le statut d’EIRL, la solution de l’arrêt annoté reste crucialement d’actualité, d’autant plus que ladite loi a mis en place le nouveau statut de l’entrepreneur individuel et, avec lui, le nouveau régime de l’entrepreneur individuel en difficulté (C. com., art. L. 681-1). Le fait que l’EI dispose désormais, automatiquement, sans aucune formalité, de deux patrimoines distincts (un professionnel et un personnel), ajoute à la complexité du traitement de ses dettes (qui peuvent bien volontiers se mélanger), alors que tel n’était sans doute pas le but du législateur initialement qui, à vouloir trop bien faire, a créé un régime du traitement des dettes d’une complexité redoutable (voir égal. le cas du gérant de SARL éligible au surendettement des particuliers, même pour des dettes professionnelles).
Bastien Brignon
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